« Hollywood brûle-t-il ? » s’interroge Le Point cette semaine. Au cœur du feu nourri de questions : les implacables plaies qui s’abattent, depuis la pandémie, sur une industrie dont les fondamentaux semblent remis en cause.
Après une fermeture sans précédent des multiplexes durant de longs mois entre 2020 et 2021, la capitale du 7e art s’est retrouvée confrontée à une double grève historique des scénaristes et des acteurs en 2023. Ce paysage a été également marqué par un glissement progressif du public et des investissements vers le streaming, un revers politique violent avec la réélection de Donald Trump en 2024, des incendies monstres en janvier 2025, une évasion de ses tournages et techniciens, ainsi qu’une invasion accélérée de l’intelligence artificielle… Bref, un véritable scénario catastrophe !
Et pourtant : elle tourne, cette planète Hollywood. Toujours. Envers et contre tout. Et surtout, elle persiste à ne pas délaisser son temple de toujours, la salle de cinéma. Défenseur déterminé de ce sanctuaire des origines, l’expert renommé Paul Dergarabian, Senior Media Analyst pour la société ComScore, affirme auprès du Point que les dernières tendances sont plutôt rassurantes pour les salles américaines. Selon lui, le cinéma reste, par opposition au streaming, la seule grande expérience populaire à créer du lien social et familial. Après le désastre de 2020, les voyants reviennent patiemment au vert, mais l’avenir dépendra aussi beaucoup, d’après Paul Dergarabedian, de l’aptitude des studios à offrir au public les films qui garantiront la pérennité de son retour.
Le Point : Dans notre numéro du 7 août, nous revenons sur l’effondrement du box-office nord-américain entre l’avant et l’après-pandémie de Covid. Quels sont vos chiffres les plus récents à ce sujet ?
Paul Dergarabedian : En 2019, le box-office domestique États-Unis/Canada était de 11,4 milliards de dollars, en léger recul par rapport à 2018, une année record avec 11,9 milliards. En 2020, nous sommes effectivement tombés à seulement… 2,3 milliards de dollars. Une chute dramatique, due à la pandémie, entraînant la fermeture des cinémas à partir de mi-mars. Mais, depuis, nous avons connu une reprise remarquable : 4,6 milliards en 2021 (+ 38 %), 7,5 milliards en 2022 (+ 46 %), 9 milliards en 2023… et 8,7 milliards en 2024. Cette année, à date, nous sommes en hausse de 15 % par rapport à 2024, mais encore 24 % en dessous des niveaux de 2019. Cet été, le box-office américain devrait atteindre 4 milliards de dollars de recettes, ce qui était le standard pré-pandémie. C’est seulement la deuxième fois depuis la pandémie que nous atteindrons ce seuil, après l’été Barbenheimer de 2023. Donc, la situation s’améliore, l’industrie cinématographique est résiliente.
Pour vous, le public a donc toujours envie d’aller voir des films en salle ?
Oui ! Les gens veulent aller au cinéma, il faut juste leur donner une bonne raison d’y aller : une bonne cadence de films, un marketing excellent, et des films qui tiennent leurs promesses. Le meilleur marketing du monde peut vous offrir un bon week-end d’ouverture, mais il ne pourra pas garantir la longévité. Un bon film, c’est l’assurance du facteur FOMO [Fear Of Missing Out – littéralement « la peur de rater quelque chose » – NDLR], qui se développe quand les gens parlent d’un film sur les réseaux sociaux. Ce que nous observons aussi sur le marché des entrées, c’est l’existence de micro-écosystèmes dans le calendrier, qui peuvent changer la donne en un trimestre ou même une semaine. Le premier trimestre était en baisse de 12 %, puis tout le box-office a redémarré avec Minecraft – le film, qui a été l’étincelle offrant à Warner Bros un come-back remarquable après un début d’année terrible.
Confirmez-vous la fermeture de nombreux cinémas aux États-Unis depuis la pandémie ?
Nous avons perdu quelques écrans pendant la pandémie, oui, mais l’industrie n’en fut peut-être que plus efficace. Dans les années 1990, le marché avait déjà connu beaucoup de faillites de cinémas, assainissant le marché. Avoir moins d’écrans mais les remplir, c’est mieux que beaucoup d’écrans à moitié vides. Ce qui compte, c’est que les grandes chaînes d’exploitants comme AMC et d’autres investissent dans leurs équipements pour améliorer l’expérience – sièges inclinables, formats premium, restauration…
Pour le dirigeant de Netflix, Ted Sarandos, « les salles de cinéma sont un modèle obsolète » : j’imagine que vous n’êtes pas d’accord ?
Bien sûr que Ted Sarandos va dire ça ! Je crois qu’il a dit aussi que le phénomène Barbenheimer aurait pu se produire sur le streaming. Je ne suis pas d’accord du tout. J’adore le streaming, mais je pense que le streaming et les cinémas sont complémentaires. Regardez le triomphe de F1, résultat d’un travail en commun entre Apple et Warner Brothers sur le marketing et la distribution en salle. Si les cinémas avaient dû vraiment disparaître, la pandémie les aurait balayés, mais cela ne s’est pas produit. Les gens ont des cuisines chez eux, mais aiment toujours sortir au restaurant, non ? De la même façon, ils ont des services de streaming, mais aiment toujours aller au cinéma.
Hollywood signifie-t-il encore quelque chose… et si oui, quoi ?
Absolument. Hollywood, c’est plus un état d’esprit qu’autre chose. Quand je pense à Hollywood, je pense aux salles de cinéma et à leurs origines. Des gens assis dans une salle obscure, avec un projecteur et une image projetée sur grand écran – cela n’a pas changé depuis l’avènement du 7e art. Les sièges sont devenus plus confortables, les écrans plus grands et plus nets, mais l’expérience fondamentale résonne aussi fortement avec les gens en 2025 qu’en 1925.
Mais pensez-vous vraiment que les films occupent les conversations et l’air du temps, autant que par le passé ?
Je pense que oui, le phénomène Barbie/Oppenheimer en est la preuve. Regardez ces gens qui se filment dans les halls de cinéma avec leurs seaux de popcorn… Le cinéma est devenu un hub d’influence : c’est très cool d’être dans un cinéma pour beaucoup de gens sur les réseaux sociaux. Le Hollywood d’autrefois était peut-être plus glamour parce que plus élitiste, mais maintenant, les gens peuvent créer leur propre expérience d’avant-première en allant voir un film le premier jour de sa sortie, et en streamant qu’ils sont au cinéma.
Les générations Y et Z ne sont-elles pas davantage happées par les séries et les formats courts sur les plateformes comme YouTube ou TikTok ?
Les jeunes sont essentiels – ce sont leurs enfants qui seront les futurs spectateurs. Beaucoup d’experts pensaient qu’avec les petits écrans puis les jeux vidéo, les salles perdraient le public jeune… et non, toujours pas ! Il est intéressant d’observer que, depuis deux ans, les films classés PG [classification américaine des longs-métrages familiaux tout public – NDLR] dépassent maintenant les œuvres classées PG-13 au box-office. Cela signifie que les familles reviennent – comme le prouvent les succès de Super Mario Bros, Moana 2 ou Lilo & Stitch.
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Pour finir, une question de curiosité : pourquoi, aux États-Unis, les données du marché sont systématiquement communiquées sur les recettes salles, plutôt que sur la fréquentation réelle ?
C’est en partie du marketing, typiquement américain. Ici, dire qu’un film a démarré sur un week-end à 100 millions de dollars sonne mieux que dire qu’il a vendu 20 millions de billets. Chez ComScore, nous ne suivons pas officiellement le volume de fréquentation en Amérique du Nord, contrairement à nos bureaux internationaux, même si je peux tout à fait estimer à partir du prix moyen du billet. C’est peut-être un tabou ! Mais regardez comme les portails de streaming sont peu transparents sur leurs chiffres – c’est encore pire ! Au moins, nous sommes très transparents sur le box-office quotidien, hebdomadaire, mensuel.