Le rugby féminin français « dans un long virage » vers la professionnalisation.

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  • La Coupe du monde de rugby 2025, diffusée sur les antennes du groupe TF1, se déroule jusqu’au 27 septembre, en Angleterre.
  • Le XV de France espère connaître les joies d’une première finale, mais les Bleues ne se battent pas exactement à armes égales contre leurs principales rivales.
  • Les explications pour TF1info de deux entraîneurs du meilleur championnat de l’Hexagone, l’Élite 1.

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Rugby : les Bleues à l’assaut de la Coupe du monde

« Tous les voyants sont au vert ». Dans un rapport de juin 2025, la Fédération française de rugby (FFR) dresse un état des lieux très positif de l’écosystème du rugby féminin dans le pays. « On recense précisément 52.689 licenciées contre 311.681 pratiquants hommes », soit un rapport d’un pour six, note l’instance. « Entre 2017 et 2023, l’augmentation est spectaculaire, (avec une hausse) de 94% des pratiquantes », ajoute la FFR, qui précise que 1.160 clubs disposent désormais d’une section féminine.

L’organisation dirigée par Florian Grill a aussi multiplié les moyens mis à disposition des sélections féminines (elles ont notamment accès aux mêmes infrastructures que les hommes à Marcoussis) et systématisé le recours à des outils d’aide au suivi à distance. Chaque joueuse internationale ou suivie par le staff du XV de France « dispose d’un GPS dont les données sont compilées par Thierry Buisson-Debon, préparateur physique en charge de la data » et bénéficie d’un « logiciel de musculation, Team Builder », qui permet, là encore, de suivre sur la durée les différents paramètres physiques.

Un bagage rugbystique vraiment énorme par rapport aux générations précédentes

Léo Brissaud, entraîneur des Amazones de Grenoble

La refonte l’année passée du meilleur championnat, l’Élite 1, avec une poule unique à 10 équipes, apporte aussi davantage de lisibilité et d’homogénéité. « On voit déjà la différence. Avec Toulouse, on a eu une année beaucoup plus compliquée avec des matchs de qualité vraiment meilleure », confirme à TF1info Céline Ferer, co-entraîneuse du Stade Toulousain, estimant que ce format « permet, chaque week-end, de partir avec du challenge ».

Dans le même temps, si elle reste perfectible, la formation a été très bien développée au cours des dernières années. « Les académies fédérales, qui se sont structurées dans les clubs, ont permis de mettre au même niveau d’entraînement un jeune garçon de 16 ans et une jeune fille de 16 ans », souligne Léo Brissaud, l’entraîneur des Amazones de Grenoble. « J’ai eu des générations de jeunes joueuses avec un bagage rugbystique vraiment énorme par rapport aux générations précédentes, qui commençaient beaucoup plus tard dans un contexte complètement différent », poursuit le technicien.

On stagne un petit peu

Céline Ferer, co-entraîneuse du Stade Toulousain

Toutefois, en y regardant de plus près, cette évolution connaît d’importantes limites. « On est vraiment dans le tournant vers la professionnalisation (…) mais le virage est long », explique à TF1info Léo Brissaud. Céline Ferer confirme que « les choses évoluent, mais sans doute plus lentement qu’on le voudrait ». Estimant que « l’on stagne un petit peu » depuis le dernier Mondial, l’ancienne internationale tricolore (60 sélections entre 2018 et 2022) évoque des lacunes au niveau de la « diffusion » (l’Élite 1 ne compte aucun diffuseur officiel, même si Canal+ diffuse, depuis cette saison, plusieurs affiches de saison régulière et les phases finales) et dans « l’accompagnement des joueuses vers le très haut niveau ».

Seulement quelques dizaines de joueuses professionnelles

Forcément, cet « entre-deux », comme l’appelle le coach isérois, place les joueuses dans une situation délicate, ou du moins complexe. Alors que le cap de la professionnalisation a été franchi outre-Manche, avec un Premiership de plus en plus compétitif, la France en est encore loin. Seule une trentaine de joueuses vivent actuellement du rugby à XV dans l’Hexagone, via un contrat fédéral à 75%, signé avec la FFR. Celles qui en bénéficient touchent un montant compris entre 3.500 et 4.000 euros par mois, selon l’ancienneté. Mais ce type de bail est lui-même source d’instabilité, puisqu’il ne dure qu’un an. La situation est encore plus difficile pour les autres joueuses, dont une très grande majorité de celles évoluant en Élite 1. Elles doivent faire cohabiter la pratique de leur sport, au plus haut niveau possible, avec des études ou un autre métier.

La troisième ligne française Léa Champon, lors du déplacement à Twickenham, en avril dernier. - Adrian Dennis / AFP
La troisième ligne française Léa Champon, lors du déplacement à Twickenham, en avril dernier. – Adrian Dennis / AFP

À titre d’exemple, sur les 40 membres du groupe des Amazones de Grenoble (5ᵉ la saison passée), seules trois joueuses ont, à ce jour, un vrai contrat professionnel : Manae Feleu, Teani Feleu et Élisa Riffonneau. Le tout, alors que cinq Grenobloises sont sélectionnées pour le Mondial, Taïna Maka et Léa Champon étant également de la partie. « Ces trois-là ont un véritable contrat professionnel, donc elles vivent du rugby, mais elles ont également des études à côté. Manae est en médecine, Élisa en droit et Teani suit un cursus pour devenir professeure de sport », détaille Léo Brissaud. « Et après, toutes les autres ont un projet principal, scolaire ou professionnel, en parallèle du rugby. », complète le technicien. Environ 70% de l’effectif est toujours en études.

À noter que pour toutes les filles qui ne sont pas sous contrat avec la FFR, les défraiements sur la saison, qui se font en primes de match, sont « de l’ordre de 100 à 300 euros par mois ».

Toutes les joueuses bossent ou sont étudiantes

Céline Ferer, co-entraîneuse du Stade Toulousain

Du côté du Stade Toulousain, finaliste malheureux la saison passée en Élite 1, Pauline Bourdon-Sansus, Kelly Arbey, Charlotte Escudero et Lina Queyroi – toutes dans le groupe de 32 pour la Coupe du monde – sont sous contrat fédéral. « Toutes les joueuses bossent ou sont étudiantes », annonce Céline Ferer. « Pour les étudiantes, le club a négocié avec les écoles pour qu’elles puissent être libérées sur deux demi-journées pour s’entraîner, le mardi après-midi et le jeudi matin. Pour les filles qui travaillent, environ une dizaine chez nous, on a négocié un régime à 80% avec leur employeur, ce qui fait qu’elles sont avec nous 20% de la semaine (donc deux demi-journées, comme les étudiantes) », développe l’ex-deuxième ligne, désormais en charge des avants dans la Ville rose.

Le club haut-garonnais, qui a investi pour disposer de ces fenêtres d’entraînement en journée, qui restent une rareté en France, a également mis en place trois paliers de rémunération, si bien que toutes les joueuses de l’effectif touchent entre 200 et 400 euros par mois, selon leur ancienneté, leur place dans l’équipe et leur statut – ou non – d’internationales.

Des joueuses « pas suffisamment accompagnées »

Autant dire que les rugbywomen évoluant en France se trouvent, encore aujourd’hui, sous pression sur le plan financier, et sont loin d’être placées dans les meilleures conditions pour performer, notamment en termes de temps d’entraînement. Contrairement, par exemple, à leurs homologues d’outre-Manche. « Ce sont des filles à qui on demande beaucoup dans les clubs pour être au niveau mais qui manquent d’accompagnement à côté », juge l’entraîneur des Amazones de Grenoble. « Donc forcément ça crée un décalage », analyse-t-il, « des joueuses arrêtent parce qu’elles se sentent trop tiraillées entre un rugby qui leur demande trop sans recevoir suffisamment ».

Cela explique aussi le grand écart entre les résultats chez les jeunes (les Françaises sont parmi les meilleures du monde, dominant régulièrement les Anglaises par exemple) et ceux chez l’équipe A. « À 18 ans, la joueuse française n’a souvent rien à envier à une Anglaise du même âge et sur un même poste. Mais elle va se faire rattraper voire dépasser par cette même Anglaise, qui va ensuite passer trois, quatre, cinq, six, dix ans dans un contexte professionnel dans lequel elle va être encadrée à 100%, au contraire de son homologue tricolore », raconte Léo Brissaud.

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Alors comment accélérer la croissance dans un contexte où, et les deux entraîneurs le reconnaissent sans concession, le rugby féminin « ne rapporte pas », ou en tout cas pas suffisamment, sur le plan économique ? La réponse est complexe, et surtout multifactorielle, de l’augmentation de la visibilité, via la diffusion, à la multiplication de contrats professionnels, en passant par davantage d’incitations – voire de sanctions – auprès des clubs et plus généralement une « plus grande exigence du monde de l’ovalie vis-à-vis du rugby féminin ». Sur le plan économique, il faudrait aussi que « l’apport des partenaires privés soit à la fois plus important mais aussi plus équitable ». En attendant, il reste à espérer que la performance des Bleues cet été, qu’elle soit décevante ou magnifique, serve de catalyseur pour (enfin) décoller.

Maxence GEVIN

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