Dès l’ouverture du procès du dessinateur de BD, ce mardi 27 mai, la défense de Bastien Vivès a remis en cause la compétence du tribunal correctionnel de Nanterre. Bastien Vivès était poursuivi pour « fixation d’image ou représentation d’un mineur présentant un caractère pédo-pornographique » dans deux de ses albums, Petit Paul (éd. Glénat) et La Décharge mentale (éd. Les Requins marteaux), parus en 2018.
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Il ne s’agissait pas, pour Me Richard Malka, de contester les qualités intellectuelles des membres de cette juridiction, mais sa capacité juridique à se saisir de cette affaire, dans le ressort territorial qui est le sien (Hauts-de-Seine). Me Malka a indiqué que son client avait « fixé, autrement dit dessiné », les œuvres incriminées à son domicile parisien, dans le 12e arrondissement où il « vit et travaille ». « Alors, je vous pose la question : que faisons-nous à Nanterre ? » a-t-il lancé à ses juges. Selon lui, c’est le tribunal judiciaire de Paris et sa célèbre 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, qui aurait dû hériter de ce dossier que beaucoup de magistrats qualifient en privé de « patate chaude ».
Le parquet invité « à mieux se pourvoir »
S’agissant des éditeurs de Bastien Vivès, poursuivis pour avoir « diffusé » ses dessins, l’un à son siège à Grenoble (Glénat), l’autre à Bordeaux (Les Requins marteaux), le tribunal de Nanterre ne serait donc pas davantage « compétent » pour les juger, selon Me Malka. « Il l’est d’autant moins que la loi exclut la responsabilité pénale des personnes morales, pour les délits de presse », a-t-il rappelé.
L’avocat historique de Charlie Hebdo, par ailleurs auteur d’une trentaine de BD, a précisé enfin que la preuve que les albums incriminés avaient été diffusés dans les Hauts-de-Seine n’était pas rapportée, après deux ans et demi d’enquête. « Il aurait suffi qu’un enquêteur se rende chez un libraire de ce département pour y dénicher ne serait-ce qu’un exemplaire mais je n’ai rien trouvé dans le dossier », a-t-il ironisé.
L’une des quatre associations parties civiles (La Fondation pour l’enfance, Face à l’inceste, L’enfance en danger et L’enfant bleu) avait bien fourni, quelques heures avant l’ouverture des débats, un extrait de l’émission Quotidien, dont l’un des journalistes avait mis la main sur un volume de Petit Paul, en 2021, dans un magasin Cultura du quartier de la Défense (Hauts-de-Seine), malgré l’ordre des dirigeants de cette enseigne de retirer cette œuvre scandaleuse de ses rayonnages. « Cette séquence est-elle authentique ? Permet-elle de prouver que l’album était, ce jour-là, à la disposition du public ? En aucune façon », a contesté Richard Malka.
Le tribunal lui a donné raison sur toute la ligne. Après trois heures de délibéré, la présidente a déclaré « l’incompétence » de son tribunal, invitant le parquet « à mieux se pourvoir ». Autrement dit à revoir sa copie et, le cas échéant, à renvoyer le dossier à Paris. Le procès, qui n’aura duré que quelques heures, s’est donc interrompu d’un coup. Un camouflet pour le parquet de Nanterre, à qui la défense a réservé ses flèches les plus acérées.
Les « méthodes de girouette » du parquet de Nanterre
Me Richard Malka s’est montré féroce à son égard, fustigeant son « incompétence », entendu cette fois au sens le plus commun du terme. L’avocat du dessinateur lui a reproché d’avoir « bondi » sur ce dossier à la manière du procureur impérial Ernest Pinard qui, au XIXe siècle, avait poursuivi Flaubert et Baudelaire de sa vindicte, jugeant leurs œuvres (Madame Bovary et Les Fleurs du mal) outrageantes pour les bonnes mœurs et contraires à la morale publique et religieuse. S’il est resté dans les annales judiciaires, le procureur Pinard ne jouit pas aujourd’hui d’une réputation formidable chez les juges et les historiens du droit…
Saisi d’une première plainte en 2019, le parquet de Nanterre avait d’abord classé le dossier Bastien Vivès pour « absence d’infraction ». « Deux ans et demi plus tard, alors que mon client se faisait étriller sur les réseaux sociaux, il a finalement décidé de le poursuivre, révèle Me Malka. C’étaient les mêmes images, les mêmes BD et elles étaient introuvables depuis trois ans ; rien ne s’était passé entre-temps et, pourtant, le parquet assumait de se déjuger et engageait des poursuites. Comment faire confiance à la justice avec de telles méthodes de girouette ? Où est la sécurité juridique si l’action publique se contente de suivre le sens du vent ? »
L’avocat évoque les « onze demandes » qu’il a dû faire pour recevoir copie de la première décision de classement, qu’il n’obtiendra qu’en saisissant le procureur général de Paris, supérieur hiérarchique du procureur nanterrois.
« Juger un crime de plume »
On ne se refait pas… Richard Malka aurait dû s’en tenir à ses « exceptions de nullité » (vices de procédure). Tout à son indignation et anticipant sur un renvoi du procès, il n’a pu s’empêcher de plaider le « fond » du dossier, bravant les rappels à l’ordre amusés de la présidente. « Dans un album de BD, il y a les méchants et les gentils, tout est simple. Voyez Iznogoud, c’est un méchant, comme son nom l’indique. Mais nous sommes ici dans un tribunal ; il n’y a pas, d’un côté, les amis des enfants, et, de l’autre, le reste du monde. »
« Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, poursuit Me Malka, il vous est demandé de condamner un dessinateur de bande dessinée. Personne n’avait encore osé ! Que veulent le parquet et les associations ici présentes ? Non seulement nous priver du talent de Bastien Vivès, mais le marquer au fer rouge du sceau de l’infamie. Que vous demandent-ils ? De vous faire juge de l’encre et du papier ; de juger un crime de plume ; que l’imaginaire ou le malaise puisse devenir un délit. »
Il adresse cette mise en garde : « Si vous faites ça, ça ne s’arrêtera pas. On vous demandera demain de faire disparaître des manuels scolaires les tableaux de nu du XVIIIe siècle ; la petite souris Maus, Lolita de Nabokov et les albums de Goetlib seront, à leur tour, exposés à la censure ! »
Me Malka convoque Freud et Homère : « On le sait depuis Sparte et Dionysos, ce qui a été violemment refoulé revient toujours, et de la façon la plus monstrueuse qui soit. Les artistes, avec leur humour et leur décalage, nous protègent de cela. On vous enjoint de juger des personnages de BD, de vous interroger sur le nombre de leurs dents de sagesse alors que des affaires sérieuses, mettant en danger de vrais enfants, attendent et devraient mériter votre attention. »
Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier !Me Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux
En guise de « nullités », Me Malka a encore soulevé celle de la citation (l’acte d’accusation), qui ne vise « aucune case », aucun dessin en particulier, au mépris des droits de la défense. Puis, sa collaboratrice, Me Marine Viegas, s’en est prise aux associations plaignantes. Elle a fustigé « ces petits procureurs de la société civile qui, dans une sorte de braquage des tribunaux, armées d’un complexe de toute-puissance, s’affranchissent de toutes les règles pour poursuivre des pédophiles imaginaires qui s’attaquent à des enfants qui n’existent pas ».
« Qui, demain, nous dit que des associations de défense des victimes ne réclameront pas des poursuites contre les albums virilistes d’Astérix ? Car, après tout, il s’agit bien de bonshommes qui se droguent pour aller taper sur des Romains », a plaidé à son tour, non sans drôlerie, Me Pierre-François Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux. « Les brigades des mineurs manquent cruellement de moyens. Laissons-les aider les victimes de chair et de sang et poursuivre les vrais prédateurs, plutôt que de les embarquer dans des procédures aussi bancales et absurdes. Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier ! »
Une défense pugnace qui indigne accusation et parties civiles
C’est peu dire que cette défense pugnace a indigné l’accusation et les parties civiles. L’avocate de la Fondation pour l’enfance a dénoncé « le show de la défense », « les torrents de boue » envoyés sur elle par le camp d’en face. « Nous n’avons pas choisi nos juges, c’est le procureur de Paris qui a transmis le dossier à Nanterre », a précisé Me Céline Alstofe. « L’art n’est pas au-dessus des lois, les privilèges ont été abolis il y a bien longtemps, les artistes n’ont pas tous les droits. Il s’agit d’un débat sérieux sur les libertés fondamentales, qui met en balance la liberté d’expression et la protection des enfants, tout aussi précieuse. »
« Il n’y a pas, d’un côté, la méchante censure et, de l’autre, la gentille liberté d’expression », a renchéri la procureure, accusant la défense de vouloir « transformer [sa] juridiction en tribunal médiatique » et de « noyer le débat juridique dans l’émotion et la littérature ». « Nous sommes là pour faire appliquer les lois de notre pays », a insisté la représentante du ministère public, qui considère que « le tribunal de Nanterre est naturellement et territorialement compétent » pour ce faire, les éditions Glénat disposant d’un établissement secondaire dans les Hauts-de-Seine, dont « l’activité forme l’objet du litige ».
Cette jurisprudence civile pouvait-elle s’appliquer à une affaire pénale ? Non, a répondu le tribunal de Nanterre qui, après deux heures de délibéré, a donc renvoyé le dossier à l’expéditeur, coupant court aux débats et invitant le procureur à revoir sa copie.
Avec ses allures d’éternel adolescent, baskets blanches, lunettes cerclées et sa coupe « saut du lit », Bastien Vivès est resté impassible. Tout juste avait-il esquissé un petit sourire nerveux en entendant, à l’ouverture des débats, la présidente lui indiquer qu’il était poursuivi pour avoir « représenté un mineur présentant un pénis de taille importante », dans l’album Petit Paul. « Je n’ai aucun regret », a-t-il déclaré à la sortie de l’audience, avant de fondre en larmes.
Dès l’ouverture du procès du dessinateur de BD, ce mardi 27 mai, la défense de Bastien Vivès a remis en cause la compétence du tribunal correctionnel de Nanterre. Bastien Vivès était poursuivi pour « fixation d’image ou représentation d’un mineur présentant un caractère pédo-pornographique » dans deux de ses albums, Petit Paul (éd. Glénat) et La Décharge mentale (éd. Les Requins marteaux), parus en 2018.
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Il ne s’agissait pas, pour Me Richard Malka, de contester les qualités intellectuelles des membres de cette juridiction, mais sa capacité juridique à se saisir de cette affaire, dans le ressort territorial qui est le sien (Hauts-de-Seine). Me Malka a indiqué que son client avait « fixé, autrement dit dessiné », les œuvres incriminées à son domicile parisien, dans le 12e arrondissement où il « vit et travaille ». « Alors, je vous pose la question : que faisons-nous à Nanterre ? » a-t-il lancé à ses juges. Selon lui, c’est le tribunal judiciaire de Paris et sa célèbre 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, qui aurait dû hériter de ce dossier que beaucoup de magistrats qualifient en privé de « patate chaude ».
Le parquet invité « à mieux se pourvoir »
S’agissant des éditeurs de Bastien Vivès, poursuivis pour avoir « diffusé » ses dessins, l’un à son siège à Grenoble (Glénat), l’autre à Bordeaux (Les Requins marteaux), le tribunal de Nanterre ne serait donc pas davantage « compétent » pour les juger, selon Me Malka. « Il l’est d’autant moins que la loi exclut la responsabilité pénale des personnes morales, pour les délits de presse », a-t-il rappelé.
L’avocat historique de Charlie Hebdo, par ailleurs auteur d’une trentaine de BD, a précisé enfin que la preuve que les albums incriminés avaient été diffusés dans les Hauts-de-Seine n’était pas rapportée, après deux ans et demi d’enquête. « Il aurait suffi qu’un enquêteur se rende chez un libraire de ce département pour y dénicher ne serait-ce qu’un exemplaire mais je n’ai rien trouvé dans le dossier », a-t-il ironisé.
L’une des quatre associations parties civiles (La Fondation pour l’enfance, Face à l’inceste, L’enfance en danger et L’enfant bleu) avait bien fourni, quelques heures avant l’ouverture des débats, un extrait de l’émission Quotidien, dont l’un des journalistes avait mis la main sur un volume de Petit Paul, en 2021, dans un magasin Cultura du quartier de la Défense (Hauts-de-Seine), malgré l’ordre des dirigeants de cette enseigne de retirer cette œuvre scandaleuse de ses rayonnages. « Cette séquence est-elle authentique ? Permet-elle de prouver que l’album était, ce jour-là, à la disposition du public ? En aucune façon », a contesté Richard Malka.
Le tribunal lui a donné raison sur toute la ligne. Après trois heures de délibéré, la présidente a déclaré « l’incompétence » de son tribunal, invitant le parquet « à mieux se pourvoir ». Autrement dit à revoir sa copie et, le cas échéant, à renvoyer le dossier à Paris. Le procès, qui n’aura duré que quelques heures, s’est donc interrompu d’un coup. Un camouflet pour le parquet de Nanterre, à qui la défense a réservé ses flèches les plus acérées.
Les « méthodes de girouette » du parquet de Nanterre
Me Richard Malka s’est montré féroce à son égard, fustigeant son « incompétence », entendu cette fois au sens le plus commun du terme. L’avocat du dessinateur lui a reproché d’avoir « bondi » sur ce dossier à la manière du procureur impérial Ernest Pinard qui, au XIXe siècle, avait poursuivi Flaubert et Baudelaire de sa vindicte, jugeant leurs œuvres (Madame Bovary et Les Fleurs du mal) outrageantes pour les bonnes mœurs et contraires à la morale publique et religieuse. S’il est resté dans les annales judiciaires, le procureur Pinard ne jouit pas aujourd’hui d’une réputation formidable chez les juges et les historiens du droit…
Saisi d’une première plainte en 2019, le parquet de Nanterre avait d’abord classé le dossier Bastien Vivès pour « absence d’infraction ». « Deux ans et demi plus tard, alors que mon client se faisait étriller sur les réseaux sociaux, il a finalement décidé de le poursuivre, révèle Me Malka. C’étaient les mêmes images, les mêmes BD et elles étaient introuvables depuis trois ans ; rien ne s’était passé entre-temps et, pourtant, le parquet assumait de se déjuger et engageait des poursuites. Comment faire confiance à la justice avec de telles méthodes de girouette ? Où est la sécurité juridique si l’action publique se contente de suivre le sens du vent ? »
L’avocat évoque les « onze demandes » qu’il a dû faire pour recevoir copie de la première décision de classement, qu’il n’obtiendra qu’en saisissant le procureur général de Paris, supérieur hiérarchique du procureur nanterrois.
« Juger un crime de plume »
On ne se refait pas… Richard Malka aurait dû s’en tenir à ses « exceptions de nullité » (vices de procédure). Tout à son indignation et anticipant sur un renvoi du procès, il n’a pu s’empêcher de plaider le « fond » du dossier, bravant les rappels à l’ordre amusés de la présidente. « Dans un album de BD, il y a les méchants et les gentils, tout est simple. Voyez Iznogoud, c’est un méchant, comme son nom l’indique. Mais nous sommes ici dans un tribunal ; il n’y a pas, d’un côté, les amis des enfants, et, de l’autre, le reste du monde. »
« Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, poursuit Me Malka, il vous est demandé de condamner un dessinateur de bande dessinée. Personne n’avait encore osé ! Que veulent le parquet et les associations ici présentes ? Non seulement nous priver du talent de Bastien Vivès, mais le marquer au fer rouge du sceau de l’infamie. Que vous demandent-ils ? De vous faire juge de l’encre et du papier ; de juger un crime de plume ; que l’imaginaire ou le malaise puisse devenir un délit. »
Il adresse cette mise en garde : « Si vous faites ça, ça ne s’arrêtera pas. On vous demandera demain de faire disparaître des manuels scolaires les tableaux de nu du XVIIIe siècle ; la petite souris Maus, Lolita de Nabokov et les albums de Goetlib seront, à leur tour, exposés à la censure ! »
Me Malka convoque Freud et Homère : « On le sait depuis Sparte et Dionysos, ce qui a été violemment refoulé revient toujours, et de la façon la plus monstrueuse qui soit. Les artistes, avec leur humour et leur décalage, nous protègent de cela. On vous enjoint de juger des personnages de BD, de vous interroger sur le nombre de leurs dents de sagesse alors que des affaires sérieuses, mettant en danger de vrais enfants, attendent et devraient mériter votre attention. »
Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier !Me Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux
En guise de « nullités », Me Malka a encore soulevé celle de la citation (l’acte d’accusation), qui ne vise « aucune case », aucun dessin en particulier, au mépris des droits de la défense. Puis, sa collaboratrice, Me Marine Viegas, s’en est prise aux associations plaignantes. Elle a fustigé « ces petits procureurs de la société civile qui, dans une sorte de braquage des tribunaux, armées d’un complexe de toute-puissance, s’affranchissent de toutes les règles pour poursuivre des pédophiles imaginaires qui s’attaquent à des enfants qui n’existent pas ».
« Qui, demain, nous dit que des associations de défense des victimes ne réclameront pas des poursuites contre les albums virilistes d’Astérix ? Car, après tout, il s’agit bien de bonshommes qui se droguent pour aller taper sur des Romains », a plaidé à son tour, non sans drôlerie, Me Pierre-François Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux. « Les brigades des mineurs manquent cruellement de moyens. Laissons-les aider les victimes de chair et de sang et poursuivre les vrais prédateurs, plutôt que de les embarquer dans des procédures aussi bancales et absurdes. Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier ! »
Une défense pugnace qui indigne accusation et parties civiles
C’est peu dire que cette défense pugnace a indigné l’accusation et les parties civiles. L’avocate de la Fondation pour l’enfance a dénoncé « le show de la défense », « les torrents de boue » envoyés sur elle par le camp d’en face. « Nous n’avons pas choisi nos juges, c’est le procureur de Paris qui a transmis le dossier à Nanterre », a précisé Me Céline Alstofe. « L’art n’est pas au-dessus des lois, les privilèges ont été abolis il y a bien longtemps, les artistes n’ont pas tous les droits. Il s’agit d’un débat sérieux sur les libertés fondamentales, qui met en balance la liberté d’expression et la protection des enfants, tout aussi précieuse. »
« Il n’y a pas, d’un côté, la méchante censure et, de l’autre, la gentille liberté d’expression », a renchéri la procureure, accusant la défense de vouloir « transformer [sa] juridiction en tribunal médiatique » et de « noyer le débat juridique dans l’émotion et la littérature ». « Nous sommes là pour faire appliquer les lois de notre pays », a insisté la représentante du ministère public, qui considère que « le tribunal de Nanterre est naturellement et territorialement compétent » pour ce faire, les éditions Glénat disposant d’un établissement secondaire dans les Hauts-de-Seine, dont « l’activité forme l’objet du litige ».
Cette jurisprudence civile pouvait-elle s’appliquer à une affaire pénale ? Non, a répondu le tribunal de Nanterre qui, après deux heures de délibéré, a donc renvoyé le dossier à l’expéditeur, coupant court aux débats et invitant le procureur à revoir sa copie.
Avec ses allures d’éternel adolescent, baskets blanches, lunettes cerclées et sa coupe « saut du lit », Bastien Vivès est resté impassible. Tout juste avait-il esquissé un petit sourire nerveux en entendant, à l’ouverture des débats, la présidente lui indiquer qu’il était poursuivi pour avoir « représenté un mineur présentant un pénis de taille importante », dans l’album Petit Paul. « Je n’ai aucun regret », a-t-il déclaré à la sortie de l’audience, avant de fondre en larmes.
Dès l’ouverture du procès du dessinateur de BD, ce mardi 27 mai, la défense de Bastien Vivès a remis en cause la compétence du tribunal correctionnel de Nanterre. Bastien Vivès était poursuivi pour « fixation d’image ou représentation d’un mineur présentant un caractère pédo-pornographique » dans deux de ses albums, Petit Paul (éd. Glénat) et La Décharge mentale (éd. Les Requins marteaux), parus en 2018.
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Il ne s’agissait pas, pour Me Richard Malka, de contester les qualités intellectuelles des membres de cette juridiction, mais sa capacité juridique à se saisir de cette affaire, dans le ressort territorial qui est le sien (Hauts-de-Seine). Me Malka a indiqué que son client avait « fixé, autrement dit dessiné », les œuvres incriminées à son domicile parisien, dans le 12e arrondissement où il « vit et travaille ». « Alors, je vous pose la question : que faisons-nous à Nanterre ? » a-t-il lancé à ses juges. Selon lui, c’est le tribunal judiciaire de Paris et sa célèbre 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, qui aurait dû hériter de ce dossier que beaucoup de magistrats qualifient en privé de « patate chaude ».
Le parquet invité « à mieux se pourvoir »
S’agissant des éditeurs de Bastien Vivès, poursuivis pour avoir « diffusé » ses dessins, l’un à son siège à Grenoble (Glénat), l’autre à Bordeaux (Les Requins marteaux), le tribunal de Nanterre ne serait donc pas davantage « compétent » pour les juger, selon Me Malka. « Il l’est d’autant moins que la loi exclut la responsabilité pénale des personnes morales, pour les délits de presse », a-t-il rappelé.
L’avocat historique de Charlie Hebdo, par ailleurs auteur d’une trentaine de BD, a précisé enfin que la preuve que les albums incriminés avaient été diffusés dans les Hauts-de-Seine n’était pas rapportée, après deux ans et demi d’enquête. « Il aurait suffi qu’un enquêteur se rende chez un libraire de ce département pour y dénicher ne serait-ce qu’un exemplaire mais je n’ai rien trouvé dans le dossier », a-t-il ironisé.
L’une des quatre associations parties civiles (La Fondation pour l’enfance, Face à l’inceste, L’enfance en danger et L’enfant bleu) avait bien fourni, quelques heures avant l’ouverture des débats, un extrait de l’émission Quotidien, dont l’un des journalistes avait mis la main sur un volume de Petit Paul, en 2021, dans un magasin Cultura du quartier de la Défense (Hauts-de-Seine), malgré l’ordre des dirigeants de cette enseigne de retirer cette œuvre scandaleuse de ses rayonnages. « Cette séquence est-elle authentique ? Permet-elle de prouver que l’album était, ce jour-là, à la disposition du public ? En aucune façon », a contesté Richard Malka.
Le tribunal lui a donné raison sur toute la ligne. Après trois heures de délibéré, la présidente a déclaré « l’incompétence » de son tribunal, invitant le parquet « à mieux se pourvoir ». Autrement dit à revoir sa copie et, le cas échéant, à renvoyer le dossier à Paris. Le procès, qui n’aura duré que quelques heures, s’est donc interrompu d’un coup. Un camouflet pour le parquet de Nanterre, à qui la défense a réservé ses flèches les plus acérées.
Les « méthodes de girouette » du parquet de Nanterre
Me Richard Malka s’est montré féroce à son égard, fustigeant son « incompétence », entendu cette fois au sens le plus commun du terme. L’avocat du dessinateur lui a reproché d’avoir « bondi » sur ce dossier à la manière du procureur impérial Ernest Pinard qui, au XIXe siècle, avait poursuivi Flaubert et Baudelaire de sa vindicte, jugeant leurs œuvres (Madame Bovary et Les Fleurs du mal) outrageantes pour les bonnes mœurs et contraires à la morale publique et religieuse. S’il est resté dans les annales judiciaires, le procureur Pinard ne jouit pas aujourd’hui d’une réputation formidable chez les juges et les historiens du droit…
Saisi d’une première plainte en 2019, le parquet de Nanterre avait d’abord classé le dossier Bastien Vivès pour « absence d’infraction ». « Deux ans et demi plus tard, alors que mon client se faisait étriller sur les réseaux sociaux, il a finalement décidé de le poursuivre, révèle Me Malka. C’étaient les mêmes images, les mêmes BD et elles étaient introuvables depuis trois ans ; rien ne s’était passé entre-temps et, pourtant, le parquet assumait de se déjuger et engageait des poursuites. Comment faire confiance à la justice avec de telles méthodes de girouette ? Où est la sécurité juridique si l’action publique se contente de suivre le sens du vent ? »
L’avocat évoque les « onze demandes » qu’il a dû faire pour recevoir copie de la première décision de classement, qu’il n’obtiendra qu’en saisissant le procureur général de Paris, supérieur hiérarchique du procureur nanterrois.
« Juger un crime de plume »
On ne se refait pas… Richard Malka aurait dû s’en tenir à ses « exceptions de nullité » (vices de procédure). Tout à son indignation et anticipant sur un renvoi du procès, il n’a pu s’empêcher de plaider le « fond » du dossier, bravant les rappels à l’ordre amusés de la présidente. « Dans un album de BD, il y a les méchants et les gentils, tout est simple. Voyez Iznogoud, c’est un méchant, comme son nom l’indique. Mais nous sommes ici dans un tribunal ; il n’y a pas, d’un côté, les amis des enfants, et, de l’autre, le reste du monde. »
« Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, poursuit Me Malka, il vous est demandé de condamner un dessinateur de bande dessinée. Personne n’avait encore osé ! Que veulent le parquet et les associations ici présentes ? Non seulement nous priver du talent de Bastien Vivès, mais le marquer au fer rouge du sceau de l’infamie. Que vous demandent-ils ? De vous faire juge de l’encre et du papier ; de juger un crime de plume ; que l’imaginaire ou le malaise puisse devenir un délit. »
Il adresse cette mise en garde : « Si vous faites ça, ça ne s’arrêtera pas. On vous demandera demain de faire disparaître des manuels scolaires les tableaux de nu du XVIIIe siècle ; la petite souris Maus, Lolita de Nabokov et les albums de Goetlib seront, à leur tour, exposés à la censure ! »
Me Malka convoque Freud et Homère : « On le sait depuis Sparte et Dionysos, ce qui a été violemment refoulé revient toujours, et de la façon la plus monstrueuse qui soit. Les artistes, avec leur humour et leur décalage, nous protègent de cela. On vous enjoint de juger des personnages de BD, de vous interroger sur le nombre de leurs dents de sagesse alors que des affaires sérieuses, mettant en danger de vrais enfants, attendent et devraient mériter votre attention. »
Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier !Me Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux
En guise de « nullités », Me Malka a encore soulevé celle de la citation (l’acte d’accusation), qui ne vise « aucune case », aucun dessin en particulier, au mépris des droits de la défense. Puis, sa collaboratrice, Me Marine Viegas, s’en est prise aux associations plaignantes. Elle a fustigé « ces petits procureurs de la société civile qui, dans une sorte de braquage des tribunaux, armées d’un complexe de toute-puissance, s’affranchissent de toutes les règles pour poursuivre des pédophiles imaginaires qui s’attaquent à des enfants qui n’existent pas ».
« Qui, demain, nous dit que des associations de défense des victimes ne réclameront pas des poursuites contre les albums virilistes d’Astérix ? Car, après tout, il s’agit bien de bonshommes qui se droguent pour aller taper sur des Romains », a plaidé à son tour, non sans drôlerie, Me Pierre-François Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux. « Les brigades des mineurs manquent cruellement de moyens. Laissons-les aider les victimes de chair et de sang et poursuivre les vrais prédateurs, plutôt que de les embarquer dans des procédures aussi bancales et absurdes. Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier ! »
Une défense pugnace qui indigne accusation et parties civiles
C’est peu dire que cette défense pugnace a indigné l’accusation et les parties civiles. L’avocate de la Fondation pour l’enfance a dénoncé « le show de la défense », « les torrents de boue » envoyés sur elle par le camp d’en face. « Nous n’avons pas choisi nos juges, c’est le procureur de Paris qui a transmis le dossier à Nanterre », a précisé Me Céline Alstofe. « L’art n’est pas au-dessus des lois, les privilèges ont été abolis il y a bien longtemps, les artistes n’ont pas tous les droits. Il s’agit d’un débat sérieux sur les libertés fondamentales, qui met en balance la liberté d’expression et la protection des enfants, tout aussi précieuse. »
« Il n’y a pas, d’un côté, la méchante censure et, de l’autre, la gentille liberté d’expression », a renchéri la procureure, accusant la défense de vouloir « transformer [sa] juridiction en tribunal médiatique » et de « noyer le débat juridique dans l’émotion et la littérature ». « Nous sommes là pour faire appliquer les lois de notre pays », a insisté la représentante du ministère public, qui considère que « le tribunal de Nanterre est naturellement et territorialement compétent » pour ce faire, les éditions Glénat disposant d’un établissement secondaire dans les Hauts-de-Seine, dont « l’activité forme l’objet du litige ».
Cette jurisprudence civile pouvait-elle s’appliquer à une affaire pénale ? Non, a répondu le tribunal de Nanterre qui, après deux heures de délibéré, a donc renvoyé le dossier à l’expéditeur, coupant court aux débats et invitant le procureur à revoir sa copie.
Avec ses allures d’éternel adolescent, baskets blanches, lunettes cerclées et sa coupe « saut du lit », Bastien Vivès est resté impassible. Tout juste avait-il esquissé un petit sourire nerveux en entendant, à l’ouverture des débats, la présidente lui indiquer qu’il était poursuivi pour avoir « représenté un mineur présentant un pénis de taille importante », dans l’album Petit Paul. « Je n’ai aucun regret », a-t-il déclaré à la sortie de l’audience, avant de fondre en larmes.
Dès l’ouverture du procès du dessinateur de BD, ce mardi 27 mai, la défense de Bastien Vivès a remis en cause la compétence du tribunal correctionnel de Nanterre. Bastien Vivès était poursuivi pour « fixation d’image ou représentation d’un mineur présentant un caractère pédo-pornographique » dans deux de ses albums, Petit Paul (éd. Glénat) et La Décharge mentale (éd. Les Requins marteaux), parus en 2018.
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Il ne s’agissait pas, pour Me Richard Malka, de contester les qualités intellectuelles des membres de cette juridiction, mais sa capacité juridique à se saisir de cette affaire, dans le ressort territorial qui est le sien (Hauts-de-Seine). Me Malka a indiqué que son client avait « fixé, autrement dit dessiné », les œuvres incriminées à son domicile parisien, dans le 12e arrondissement où il « vit et travaille ». « Alors, je vous pose la question : que faisons-nous à Nanterre ? » a-t-il lancé à ses juges. Selon lui, c’est le tribunal judiciaire de Paris et sa célèbre 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, qui aurait dû hériter de ce dossier que beaucoup de magistrats qualifient en privé de « patate chaude ».
Le parquet invité « à mieux se pourvoir »
S’agissant des éditeurs de Bastien Vivès, poursuivis pour avoir « diffusé » ses dessins, l’un à son siège à Grenoble (Glénat), l’autre à Bordeaux (Les Requins marteaux), le tribunal de Nanterre ne serait donc pas davantage « compétent » pour les juger, selon Me Malka. « Il l’est d’autant moins que la loi exclut la responsabilité pénale des personnes morales, pour les délits de presse », a-t-il rappelé.
L’avocat historique de Charlie Hebdo, par ailleurs auteur d’une trentaine de BD, a précisé enfin que la preuve que les albums incriminés avaient été diffusés dans les Hauts-de-Seine n’était pas rapportée, après deux ans et demi d’enquête. « Il aurait suffi qu’un enquêteur se rende chez un libraire de ce département pour y dénicher ne serait-ce qu’un exemplaire mais je n’ai rien trouvé dans le dossier », a-t-il ironisé.
L’une des quatre associations parties civiles (La Fondation pour l’enfance, Face à l’inceste, L’enfance en danger et L’enfant bleu) avait bien fourni, quelques heures avant l’ouverture des débats, un extrait de l’émission Quotidien, dont l’un des journalistes avait mis la main sur un volume de Petit Paul, en 2021, dans un magasin Cultura du quartier de la Défense (Hauts-de-Seine), malgré l’ordre des dirigeants de cette enseigne de retirer cette œuvre scandaleuse de ses rayonnages. « Cette séquence est-elle authentique ? Permet-elle de prouver que l’album était, ce jour-là, à la disposition du public ? En aucune façon », a contesté Richard Malka.
Le tribunal lui a donné raison sur toute la ligne. Après trois heures de délibéré, la présidente a déclaré « l’incompétence » de son tribunal, invitant le parquet « à mieux se pourvoir ». Autrement dit à revoir sa copie et, le cas échéant, à renvoyer le dossier à Paris. Le procès, qui n’aura duré que quelques heures, s’est donc interrompu d’un coup. Un camouflet pour le parquet de Nanterre, à qui la défense a réservé ses flèches les plus acérées.
Les « méthodes de girouette » du parquet de Nanterre
Me Richard Malka s’est montré féroce à son égard, fustigeant son « incompétence », entendu cette fois au sens le plus commun du terme. L’avocat du dessinateur lui a reproché d’avoir « bondi » sur ce dossier à la manière du procureur impérial Ernest Pinard qui, au XIXe siècle, avait poursuivi Flaubert et Baudelaire de sa vindicte, jugeant leurs œuvres (Madame Bovary et Les Fleurs du mal) outrageantes pour les bonnes mœurs et contraires à la morale publique et religieuse. S’il est resté dans les annales judiciaires, le procureur Pinard ne jouit pas aujourd’hui d’une réputation formidable chez les juges et les historiens du droit…
Saisi d’une première plainte en 2019, le parquet de Nanterre avait d’abord classé le dossier Bastien Vivès pour « absence d’infraction ». « Deux ans et demi plus tard, alors que mon client se faisait étriller sur les réseaux sociaux, il a finalement décidé de le poursuivre, révèle Me Malka. C’étaient les mêmes images, les mêmes BD et elles étaient introuvables depuis trois ans ; rien ne s’était passé entre-temps et, pourtant, le parquet assumait de se déjuger et engageait des poursuites. Comment faire confiance à la justice avec de telles méthodes de girouette ? Où est la sécurité juridique si l’action publique se contente de suivre le sens du vent ? »
L’avocat évoque les « onze demandes » qu’il a dû faire pour recevoir copie de la première décision de classement, qu’il n’obtiendra qu’en saisissant le procureur général de Paris, supérieur hiérarchique du procureur nanterrois.
« Juger un crime de plume »
On ne se refait pas… Richard Malka aurait dû s’en tenir à ses « exceptions de nullité » (vices de procédure). Tout à son indignation et anticipant sur un renvoi du procès, il n’a pu s’empêcher de plaider le « fond » du dossier, bravant les rappels à l’ordre amusés de la présidente. « Dans un album de BD, il y a les méchants et les gentils, tout est simple. Voyez Iznogoud, c’est un méchant, comme son nom l’indique. Mais nous sommes ici dans un tribunal ; il n’y a pas, d’un côté, les amis des enfants, et, de l’autre, le reste du monde. »
« Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, poursuit Me Malka, il vous est demandé de condamner un dessinateur de bande dessinée. Personne n’avait encore osé ! Que veulent le parquet et les associations ici présentes ? Non seulement nous priver du talent de Bastien Vivès, mais le marquer au fer rouge du sceau de l’infamie. Que vous demandent-ils ? De vous faire juge de l’encre et du papier ; de juger un crime de plume ; que l’imaginaire ou le malaise puisse devenir un délit. »
Il adresse cette mise en garde : « Si vous faites ça, ça ne s’arrêtera pas. On vous demandera demain de faire disparaître des manuels scolaires les tableaux de nu du XVIIIe siècle ; la petite souris Maus, Lolita de Nabokov et les albums de Goetlib seront, à leur tour, exposés à la censure ! »
Me Malka convoque Freud et Homère : « On le sait depuis Sparte et Dionysos, ce qui a été violemment refoulé revient toujours, et de la façon la plus monstrueuse qui soit. Les artistes, avec leur humour et leur décalage, nous protègent de cela. On vous enjoint de juger des personnages de BD, de vous interroger sur le nombre de leurs dents de sagesse alors que des affaires sérieuses, mettant en danger de vrais enfants, attendent et devraient mériter votre attention. »
Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier !Me Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux
En guise de « nullités », Me Malka a encore soulevé celle de la citation (l’acte d’accusation), qui ne vise « aucune case », aucun dessin en particulier, au mépris des droits de la défense. Puis, sa collaboratrice, Me Marine Viegas, s’en est prise aux associations plaignantes. Elle a fustigé « ces petits procureurs de la société civile qui, dans une sorte de braquage des tribunaux, armées d’un complexe de toute-puissance, s’affranchissent de toutes les règles pour poursuivre des pédophiles imaginaires qui s’attaquent à des enfants qui n’existent pas ».
« Qui, demain, nous dit que des associations de défense des victimes ne réclameront pas des poursuites contre les albums virilistes d’Astérix ? Car, après tout, il s’agit bien de bonshommes qui se droguent pour aller taper sur des Romains », a plaidé à son tour, non sans drôlerie, Me Pierre-François Rousseau, avocat de l’éditeur Les Requins marteaux. « Les brigades des mineurs manquent cruellement de moyens. Laissons-les aider les victimes de chair et de sang et poursuivre les vrais prédateurs, plutôt que de les embarquer dans des procédures aussi bancales et absurdes. Rendez cette salle d’audience aux vraies victimes et laissez au public le soin de juger les œuvres de papier ! »
Une défense pugnace qui indigne accusation et parties civiles
C’est peu dire que cette défense pugnace a indigné l’accusation et les parties civiles. L’avocate de la Fondation pour l’enfance a dénoncé « le show de la défense », « les torrents de boue » envoyés sur elle par le camp d’en face. « Nous n’avons pas choisi nos juges, c’est le procureur de Paris qui a transmis le dossier à Nanterre », a précisé Me Céline Alstofe. « L’art n’est pas au-dessus des lois, les privilèges ont été abolis il y a bien longtemps, les artistes n’ont pas tous les droits. Il s’agit d’un débat sérieux sur les libertés fondamentales, qui met en balance la liberté d’expression et la protection des enfants, tout aussi précieuse. »
« Il n’y a pas, d’un côté, la méchante censure et, de l’autre, la gentille liberté d’expression », a renchéri la procureure, accusant la défense de vouloir « transformer [sa] juridiction en tribunal médiatique » et de « noyer le débat juridique dans l’émotion et la littérature ». « Nous sommes là pour faire appliquer les lois de notre pays », a insisté la représentante du ministère public, qui considère que « le tribunal de Nanterre est naturellement et territorialement compétent » pour ce faire, les éditions Glénat disposant d’un établissement secondaire dans les Hauts-de-Seine, dont « l’activité forme l’objet du litige ».
Cette jurisprudence civile pouvait-elle s’appliquer à une affaire pénale ? Non, a répondu le tribunal de Nanterre qui, après deux heures de délibéré, a donc renvoyé le dossier à l’expéditeur, coupant court aux débats et invitant le procureur à revoir sa copie.
Avec ses allures d’éternel adolescent, baskets blanches, lunettes cerclées et sa coupe « saut du lit », Bastien Vivès est resté impassible. Tout juste avait-il esquissé un petit sourire nerveux en entendant, à l’ouverture des débats, la présidente lui indiquer qu’il était poursuivi pour avoir « représenté un mineur présentant un pénis de taille importante », dans l’album Petit Paul. « Je n’ai aucun regret », a-t-il déclaré à la sortie de l’audience, avant de fondre en larmes.