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« Enfant, j’envoyais mes poèmes à Francis Cabrel »

Administrateur Mag5Stars par Administrateur Mag5Stars
15/09/2025
dans Actualités
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Avec Tressaillir, Maria Pourchet signe l’un des grands romans de la rentrée littéraire, un retour flamboyant après Feu et Western. Dans ses Vosges natales, elle raconte l’effondrement d’une femme après une rupture, entre solitude dévorante et fantômes de l’enfance. Sociologue de formation, elle observe ses personnages comme elle scrute nos vies, au plus près des désirs et des contradictions.

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Son imaginaire, lui, s’est forgé sans télévision, dans une chambre sous les toits où elle copiait des vers de Victor Hugo sur la tapisserie – au grand désespoir de ses parents. À 10 ans, elle écrivait déjà des poèmes qu’elle demandait à ses parents d’envoyer à Francis Cabrel (on ignore si l’auteur de « Petite Marie » a jamais reçu ces odes vosgiennes).

Aujourd’hui, Maria Pourchet entrouvre les portes de son panthéon culturel. On y croise Tristan et Iseut, Giono bien sûr, mais aussi Louise Attaque, groupe entendu en douce depuis un camping. Un univers où l’érudition se frotte à la culture populaire, où la solitude se mêle aux chansons de foule. Et où, pour écrire, elle s’isole dans des bergeries sans réseau, marchant une demi-heure au bord d’une départementale pour capter une barre comme si, pour trouver ses mots, il fallait d’abord se couper du monde.

Le Point : De votre enfance, qu’est-ce qui vous a donné le goût de la littérature et de la culture ?

Maria Pourchet : Beaucoup de choses. Mes parents avaient des préférences éducatives très claires. La culture était placée au premier plan et très tôt. Elle passait par différents vecteurs : d’abord les livres, puis le théâtre, la musique classique et la chanson à texte.

Si vous deviez évoquer une expérience marquante ? Un livre, par exemple, qui vous a donné le goût de la lecture ou changé votre regard ?

J’ai lu très tôt, parce qu’on n’avait pas la télé. Le merveilleux a compté énormément : les contes, mais pas seulement ceux de Grimm. Tous les textes anciens : Tristan et Iseut, La Chanson de Roland, Le Roman de Renart. À la même époque, j’ai commencé à entendre la chanson à texte. Je dis bien « entendre » : ce sont mes parents qui écoutaient.

J’ai entendu Brassens, Brel, Reggiani, Balavoine. Ça a été ma première expérience de la langue comme forme. Le mot, le son… plus que le sens. Je ne comprenais pas tout – ni les contes médiévaux ni les chansons à texte. Mais cette langue poétique, des contes comme des chansons, stylisée, symbolique, riche en figures de style, m’a appris qu’elle n’était pas seulement cet outil d’interaction utile à dire bonjour, bonsoir. Elle me réservait autre chose : de la joie, une expérience qui me fascinait d’avance.

Vous commencez déjà à écrire à ce moment-là ?

Oui. J’écris des poèmes, assez petite, dès que je sais rédiger des phrases qui me semblent belles. Donc à la fin de l’école élémentaire. J’essaie tous les mots que je connais, parce que je m’aperçois que j’en connais plus que les autres – encore une fois, l’absence de télé est déterminante. Comme loisir, il n’y avait que ça : écouter les disques des parents et lire.

Et ça ressemblait à quoi ?

Aucune idée. Vers 10, 12 ans, je me souviens d’avoir demandé à mes parents d’envoyer des textes à Francis Cabrel. Je me disais : « Tiens, c’est joli ce que j’ai fait. Lui qui chante de la poésie, peut-être qu’il voudra bien les chanter. » Ils soutiennent encore aujourd’hui qu’ils les ont postés.

Peut-être qu’en fait, « La Corrida » de Francis Cabrel, c’est votre texte d’enfant…

(Rires.) Impossible, je ne mettais pas d’animaux, c’est beaucoup à base d’anges et d’oiseaux – gros motif céleste. J’écrivais aussi des histoires pour les barquettes Lu, idem je demandais à mes parents de les poster. Notez que déjà, j’avais compris qu’écrire n’avait de sens que si c’était diffusé.

À l’école, est-ce que vous étiez frustrée quand vos camarades parlaient de ce qu’ils voyaient à la télé ?

Bien sûr. Ça m’obsédait ce qu’ils voyaient et qui m’échappait. Je ne pensais qu’à ça. Et puis j’ai fini par faire une thèse sur l’histoire de la télévision… J’ai passé quatre ans à l’INA à visionner des archives des années 1960, peut-être mue inconsciemment par cette frustration d’enfance.

Sans la télé, j’avais le sentiment qu’on me privait de mon temps, de mon clan, de ma génération. À la fin des années 1980, tout passait par la télé – ou du moins, on en avait l’impression. Alors j’allais chez les voisins, les grands-parents, les cousins, juste pour entrevoir ce qui m’était interdit. La télévision ressemblait à une fenêtre sur le monde, et on me l’avait claquée au visage.

Vous n’avez jamais eu envie de rejeter la littérature, justement parce qu’elle vous privait d’autres loisirs ?

Ah non, jamais. Au contraire, toutes mes colères, mes frustrations, mon ennui étaient absorbés par la lecture. Quand je ne lisais pas, tout tournait mal. Mes idées, mes liens avec les autres. Le problème, c’était plutôt l’excès : trop de livres, trop de lectures. Mes parents s’inquiétaient pour mes yeux, mes heures de sommeil, ma scolarité, c’est marrant cette époque. Je pense que ça ferait rêver des parents aujourd’hui. Bref, je pouvais lire non-stop. Même à table.

Mais la nuit, ils ne pouvaient pas me surveiller. À un moment, ils ont même dévissé les ampoules de ma chambre. J’avais bien sûr une lampe de poche… Ça va beaucoup mieux, je dors la nuit désormais.

Et votre chambre d’adolescente, elle ressemblait à quoi ?

Elle était assez grande, au dernier étage, sous les toits, et donnait sur la forêt. Avec ses poutres, elle me faisait l’effet d’un vaisseau inversé, comme une carène. Un lit dit « bateau » lui aussi, qui appartenait à mes grands-parents. Vous savez, ce sont ces lits aux larges panneaux de bois, transmis de génération en génération. J’avais choisi un papier peint couvert d’ailes de papillon. J’avais aussi un bureau, celui où je me vois écrire, faire mes devoirs. Il avait appartenu à mon grand-père paternel, en merisier je crois, avec ses accessoires hors d’âges, des buvards, des plumiers… Je l’adorais. Je lui prêtais un pouvoir « littéraire ». J’imaginais qu’il entrait en jeu dans la qualité de mes disserts. C’est le premier élément de ma panoplie d’écrivain.

Et puis j’ai très vite salopé la tapisserie : j’y avais recopié, à la plume Rotring et à l’encre de couleur, des vers de Victor Hugo. Je trouvais ça très chic. Je pensais que mes parents seraient ravis. Pas du tout : c’est très mal passé.

Et vous aviez des posters ?

J’avais imprimé une photocopie dans un grand livre trouvé à la bibliothèque : le portrait de Victor Hugo, que j’avais agrandi en A3 et affiché dans ma chambre. J’étais hugomaniaque en collège. Et puis, un peu plus tard, l’affiche du Hussard sur le toit, adapté de Giono, avec Olivier Martinez et Juliette Binoche. Ce film m’avait bouleversée. À 15 ans, j’ai voué un culte à Binoche en robe de la noblesse provençale du XIXe siècle. Je suis allée récupérer les affiches au cinéma d’Épinal. Le caissier me les a toutes données, vaguement étonné vu que c’est un film sur le choléra et qu’en 1995 on était censé afficher les Backstreet Boys.

C’était le premier film que vous avez vu au cinéma ?

Ado, sans doute. Le cinéma est arrivé tard pour moi. Mes parents avaient un rapport particulier aux écrans : je pense que même le cinéma, ils le considéraient plutôt comme un art mineur. Ma vraie culture ciné, je l’ai surtout formée à l’université. Enfant, on nous emmenait exceptionnellement voir des films. Je me souviens de L’Ours de Jean-Jacques Annaud, et d’une rediffusion du Magicien d’Oz. C’est à peu près tout.

Vous avez pleuré devant L’Ours ?

Évidemment. Je n’avais pas vu Bambi ni les Disney, je n’étais pas préparée psychologiquement à toute cette affaire de chasseur et de cervidé orphelin. Plus tard, je l’ai montré à mon fils. Il n’a pas pleuré. J’ai cru un instant qu’il n’avait pas de cœur, mais, en réalité, « les animaux qui parlent », il n’a pas pu accrocher, m’a-t-il expliqué (rires).

Votre premier concert ?

Avec mes parents, j’avais vu des quatuors à cordes, des concerts de philharmonie. Mais mon premier vrai souvenir, c’est au lycée : Louise Attaque. On n’avait pas de billets. Avec une copine, on campait dans le sillage d’un festival où ils passaient, vers 1998. On avait trouvé un spot dans un camping d’où on pouvait les entendre.

Est-ce que comme beaucoup d’ados de cette génération, vous écoutiez Difool sur Skyrock ?

Un peu, mais en cachette, chez ma voisine. C’était le comble du sulfureux. La transgression était telle que je n’osais pas trop : j’avais l’impression que j’allais payer ça trop cher karmiquement (rires), j’ai laissé tomber. Ensuite, j’étais interne au lycée. Là j’ai tout vu, tout pris, j’ai joyeusement déconné. L’ampleur des interdits est proportionnelle aux réactions qu’ils produisent ensuite…

Et le rap, justement ?

À l’époque, je me la jouais un peu snob. Je revendiquais la chanson à texte, la musique classique. Les goûts musicaux recoupaient presque des classes sociales. C’était étanche : ceux qui écoutaient Bach, Simon & Garfunkel, Leonard Cohen comme moi et ceux qui écoutaient du rap. Très vite, ça créait des clans. J’ai découvert le rap plus tard, adulte. C’était bien, une joie. Comme quand tu découvres Despentes après avoir été biberonnée à Flaubert.

Et votre look au lycée ?

Au lycée, ça allait mieux, parce qu’en étant interne je pouvais faire un peu plus ce que je voulais. J’ai eu une période un peu… pouffiasse (rires) que je prenais pour la quintessence du « féminin » : rouge à lèvres jusque sur les dents, jupe courte et Doc Martens. Ma mère n’était pas là le matin pour me demander de me changer. Mais ça n’a pas duré longtemps : j’étais dans un lycée privé catho, qui a été un des premiers à interdire la minijupe. Ensuite, je suis passée direct au look oversize. Des sweats XL de mon frère, une veste de treillis récupérée dans les stocks américains… Là les manches étaient tellement longues qu’on pouvait faire un nœud au bout. Quel bel âge, hein ? On est tout en constance, bon goût et sérénité.

Aujourd’hui, vos pratiques culturelles se répartissent comment entre cinéma, musique, littérature ?

Bonne question. J’ai l’impression qu’elles sont devenues peau de chagrin. Parce que j’ai un enfant, et que j’écris beaucoup moi-même. Il reste la danse contemporaine – même si cette année je n’ai pas encore eu le temps –, la lecture et le cinéma. Le théâtre, j’y suis tellement allée que c’est un peu moins un lieu de surprise pour moi. Et puis il y a les séries. Je pense moins en citer, parce que c’est devenu un rituel quasi domestique.

Vos trois films préférés ?

Mon top trois change avec le temps… mais il y aura toujours sans doute The Tree of Life de Terrence Malick, que je peux regarder ou écouter en boucle. Je sais que tout le monde n’est pas d’accord, surtout à cause du fameux plan de Brontosaure (rires), mais moi, ce film peut tourner en permanence à la maison. Quand j’étais étudiante, Par-delà les nuages d’Antonioni et Wim Wenders m’a fait le même effet. Et Cronenberg, longtemps ne m’a jamais déçue. Et je pourrais ensuite citer 100 noms.

Ce sont des refuges pour vous ?

Les films ? Pas vraiment. Quand ça ne va pas, je me mets une vieille série. Je sais que je peux y rester longtemps. Ça peut être une saison de Mad Men, des premières saisons de Girls, The Big Bang Theory… J’ai aussi regardé L’Amie prodigieuse, adaptée d’Elena Ferrante, que je n’avais pas réussi à lire pourtant. Les séries, c’est le plus vicieux des doudous : on binge deux jours en mangeant du sucre, hors du temps, et le retour au réel fait l’effet d’une rentrée des classes.

Vos séries préférées justement ?

La première série qui m’a marquée sur le plan esthétique, c’est Mad Men. Je l’ai vue la même année que Breaking Bad, séries qui vous font comprendre que les séries, c’est aussi un art de seigneurs, au même titre que le cinéma. Mad Men, chaque plan est un tableau. Ça a déplacé mon rapport à la télé.

Il vous arrive de regarder des séries plus légères ?

J’ai découvert Game of Thrones après tout le monde. Au départ, j’avais aperçu trois dragons et un loup en 4D, alors c’était mort. Mais je m’y suis mise parce que c’était devenu un phénomène planétaire : je voulais comprendre de quoi il s’agissait, c’était sociologiquement intéressant. Et je n’ai jamais plus décroché des dragons.

Et en parlant de transmission, est-ce qu’il y a des œuvres de votre enfance que vous avez réussi à partager avec votre fils ?

Oui. Il a 9 ans, et j’ai réussi avec Le Petit Nicolas et Achille Talon. Le Petit Nicolas, il préfère l’entendre plutôt que le lire seul : je crois qu’il aime m’entendre rire, ce partage-là. Pour Achille Talon, monument d’humour vintage, de calembours et de phrases alambiquées, j’étais très fière de mon coup : … ça a vraiment enrichi son vocabulaire.

Vous lui imposez des restrictions ?

Oui. Aucun écran. Parfois un film ou un dessin animé, mais qu’on choisit ensemble. Au fond, je reproduis exactement ce que faisaient mes parents avec moi (rires).

Et vous jouez à quoi ensemble ?

En ce moment, à Prince de Motordu. Vous voyez ? Ces livres qu’on lisait à l’école primaire. Il existe un jeu de cartes : débuts et fins de mots, des syllabes interchangeables… On doit composer le plus vite possible le plus de mots, parfois en volant des cartes aux autres. Une merveille.

Et quand il est question de musique, qu’est-ce qui vous console quand ça ne va pas ?

Quand ça ne va pas, j’aime beaucoup toucher le fond avec Leonard Cohen, Barbara, Radiohead. J’ai eu de grosses périodes Radiohead, Beirut… toutes les voix qu’on écoutait à la fac en fait.

Vous écrivez en musique ?

Oui, j’ai une bande-son par personnage et par roman. C’est très varié. Si j’écris un ado, je mets du rap, quelque chose d’un peu vénère. Si je situe une histoire dans les années 2000 ou 2010, je mets ce qu’on entendait à la radio à l’époque. Pour Fabien, dans Champion, j’ai écouté Pierre Bachelet (« En l’an 2001 »). Pour Michelle, quand elle revient sur son adolescence, R.E.M., du Goldman aussi… ça me ramenait à l’état dans lequel j’étais et je pouvais restituer des émotions plus réalistes. Pour Feu, par exemple, j’ai écouté PNL, Fauve, Damien Saez et le « Stabat Mater » de Pergolèse. Selon les personnages.

Et plus récemment, y a-t-il un auteur ou une autrice dont vous ne parvenez pas à vous lasser ?

Giono. Je cite souvent Un roi sans divertissement. Si je devais en emporter un seul, ce serait celui-là. Les Âmes fortes aussi. Et Un roi sans divertissement, qu’on croit scolaire mais qu’on redécouvre adulte, est immense.

Quel est le livre que vous associez à l’idée de rupture amoureuse ?

Madame Bovary. C’est Emma qui m’a donné une idée de ce que l’abandon peut faire : la douleur ordinaire, crasse, solitaire. C’est étonnant, d’ailleurs, que ce soit un homme qui ait écrit ça.

Dans votre dernier roman, votre héroïne Michelle invente parfois des souvenirs pour modifier le réel. Une œuvre vous a-t-elle déjà fait douter de la frontière entre mémoire et fiction ?

Moi, non. Je n’ai jamais eu ce sentiment-là. En revanche, des livres m’ont appris qu’il est parfois nécessaire, pour notre santé mentale, de franchir ce pas. Romain Gary, par exemple. Le réel est insoutenable, il faut le muer en fiction, transformer les données. Mais c’est une décision, pas une dérive ni une maladie : c’est choisir un prisme. Le réel attend de nous une chose : qu’on se l’invente, parce que lui-même ne se supporte pas.

Et la culture, ça vous protège de l’actualité anxiogène ?

L’écriture, surtout. Parce que la culture, c’est ce que je produis aussi : je fais des livres, des scénarios… donc des objets culturels. Mais l’écriture reste une autre temporalité, un autre corps. Quand j’écris, je dépose à peu près tout ce qui pèse.

Vous écrivez où, en général ?

Souvent seule, dans des zones blanches. Pas en résidence – ce serait encore trop civilisationnel. Moi, je loue des bergeries. Pas de réseau : il faut marcher une demi-heure pour capter une barre, au bord d’une départementale. Et j’adore ça. C’est même des cures de jouvence.

Vous n’avez jamais besoin d’Internet ?

Non, pas à ce moment-là. Quand je commence, je n’ai plus de recherche à faire. La documentation, je la garde pour la deuxième version. En version zéro, si quelque chose m’arrête, je l’enjambe et j’écris autre chose. Je n’ai pas un rapport scolaire ou méthodique. J’ai juste un dictionnaire des synonymes, au cas où. Mais pas Wikipédia, pas Internet.

Et ce moment d’écriture, vous le vivez comment ?

C’est le moment où je me sens moi. Le moment où j’ai fini, où j’envoie le texte à mon éditrice, ça, c’est merveilleux. Il y a plusieurs libérations dans l’écriture, et quand j’appuie sur « envoyer », avant même qu’elle l’ait lu, c’est un relâchement physique et nerveux, musculaire. Ça passe par le corps. Ensuite, il y a le moment où elle le lit, où elle me dit ce qu’elle en pense. Et puis encore après, le moment où le livre arrive aux lecteurs. Et le retour de la tension, c’est la rentrée littéraire (rires).

Le plus dur, c’est l’après ?

Oui. Les sorties, l’incertitude. On ne sait jamais si on sera à la hauteur. J’ai eu la chance de gagner des lecteurs, mais est-ce que mes personnages, mes phrases seront toujours à la hauteur de ce qu’ils attendent d’eux ? Ces questions-là, on aimerait ne pas les avoir. On aimerait avoir un ego assez puissant pour ne pas redouter ce besoin d’adhésion.

Vous n’arrêtez jamais d’écrire ?

Non. J’écris tout le temps. Là, par exemple, une série pour Canal, un film, un documentaire. Je vis vraiment de ce que j’écris. Mon problème, c’est l’inverse : j’aimerais bien avoir des moments où je n’écris pas.

Et en vacances ?

Là, j’ai réussi. Parce que j’ai claqué, très efficace : j’ai trop dépensé cet été pour me dire que je payais pour travailler au soleil. Et puis j’étais avec mon fils, avec Le Prince de Motordu, avec mon amoureux aussi. Et surtout, j’étais épuisée. Il y a une grâce de l’épuisement. J’ai dû y répondre. J’ai lâché. Et c’était très bien.

Pour conclure : si vous deviez placer Tressaillir sur une étagère, à côté de quel autre livre le placeriez-vous ?

À côté de mes autres livres. Ils sont tous ensemble, sur la dernière étagère, tout en haut. Mais si je devais choisir un voisin, je le mettrais entre Romain Gary et Jean Giono. Pour des raisons mystiques. Pour qu’ils le protègent.

Tressaillir, de Maria Pourchet (Stock, 324 p., 21,90 €, numérique 16 €).

Avec Tressaillir, Maria Pourchet signe l’un des grands romans de la rentrée littéraire, un retour flamboyant après Feu et Western. Dans ses Vosges natales, elle raconte l’effondrement d’une femme après une rupture, entre solitude dévorante et fantômes de l’enfance. Sociologue de formation, elle observe ses personnages comme elle scrute nos vies, au plus près des désirs et des contradictions.

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Son imaginaire, lui, s’est forgé sans télévision, dans une chambre sous les toits où elle copiait des vers de Victor Hugo sur la tapisserie – au grand désespoir de ses parents. À 10 ans, elle écrivait déjà des poèmes qu’elle demandait à ses parents d’envoyer à Francis Cabrel (on ignore si l’auteur de « Petite Marie » a jamais reçu ces odes vosgiennes).

Aujourd’hui, Maria Pourchet entrouvre les portes de son panthéon culturel. On y croise Tristan et Iseut, Giono bien sûr, mais aussi Louise Attaque, groupe entendu en douce depuis un camping. Un univers où l’érudition se frotte à la culture populaire, où la solitude se mêle aux chansons de foule. Et où, pour écrire, elle s’isole dans des bergeries sans réseau, marchant une demi-heure au bord d’une départementale pour capter une barre comme si, pour trouver ses mots, il fallait d’abord se couper du monde.

Le Point : De votre enfance, qu’est-ce qui vous a donné le goût de la littérature et de la culture ?

Maria Pourchet : Beaucoup de choses. Mes parents avaient des préférences éducatives très claires. La culture était placée au premier plan et très tôt. Elle passait par différents vecteurs : d’abord les livres, puis le théâtre, la musique classique et la chanson à texte.

Si vous deviez évoquer une expérience marquante ? Un livre, par exemple, qui vous a donné le goût de la lecture ou changé votre regard ?

J’ai lu très tôt, parce qu’on n’avait pas la télé. Le merveilleux a compté énormément : les contes, mais pas seulement ceux de Grimm. Tous les textes anciens : Tristan et Iseut, La Chanson de Roland, Le Roman de Renart. À la même époque, j’ai commencé à entendre la chanson à texte. Je dis bien « entendre » : ce sont mes parents qui écoutaient.

J’ai entendu Brassens, Brel, Reggiani, Balavoine. Ça a été ma première expérience de la langue comme forme. Le mot, le son… plus que le sens. Je ne comprenais pas tout – ni les contes médiévaux ni les chansons à texte. Mais cette langue poétique, des contes comme des chansons, stylisée, symbolique, riche en figures de style, m’a appris qu’elle n’était pas seulement cet outil d’interaction utile à dire bonjour, bonsoir. Elle me réservait autre chose : de la joie, une expérience qui me fascinait d’avance.

Vous commencez déjà à écrire à ce moment-là ?

Oui. J’écris des poèmes, assez petite, dès que je sais rédiger des phrases qui me semblent belles. Donc à la fin de l’école élémentaire. J’essaie tous les mots que je connais, parce que je m’aperçois que j’en connais plus que les autres – encore une fois, l’absence de télé est déterminante. Comme loisir, il n’y avait que ça : écouter les disques des parents et lire.

Et ça ressemblait à quoi ?

Aucune idée. Vers 10, 12 ans, je me souviens d’avoir demandé à mes parents d’envoyer des textes à Francis Cabrel. Je me disais : « Tiens, c’est joli ce que j’ai fait. Lui qui chante de la poésie, peut-être qu’il voudra bien les chanter. » Ils soutiennent encore aujourd’hui qu’ils les ont postés.

Peut-être qu’en fait, « La Corrida » de Francis Cabrel, c’est votre texte d’enfant…

(Rires.) Impossible, je ne mettais pas d’animaux, c’est beaucoup à base d’anges et d’oiseaux – gros motif céleste. J’écrivais aussi des histoires pour les barquettes Lu, idem je demandais à mes parents de les poster. Notez que déjà, j’avais compris qu’écrire n’avait de sens que si c’était diffusé.

À l’école, est-ce que vous étiez frustrée quand vos camarades parlaient de ce qu’ils voyaient à la télé ?

Bien sûr. Ça m’obsédait ce qu’ils voyaient et qui m’échappait. Je ne pensais qu’à ça. Et puis j’ai fini par faire une thèse sur l’histoire de la télévision… J’ai passé quatre ans à l’INA à visionner des archives des années 1960, peut-être mue inconsciemment par cette frustration d’enfance.

Sans la télé, j’avais le sentiment qu’on me privait de mon temps, de mon clan, de ma génération. À la fin des années 1980, tout passait par la télé – ou du moins, on en avait l’impression. Alors j’allais chez les voisins, les grands-parents, les cousins, juste pour entrevoir ce qui m’était interdit. La télévision ressemblait à une fenêtre sur le monde, et on me l’avait claquée au visage.

Vous n’avez jamais eu envie de rejeter la littérature, justement parce qu’elle vous privait d’autres loisirs ?

Ah non, jamais. Au contraire, toutes mes colères, mes frustrations, mon ennui étaient absorbés par la lecture. Quand je ne lisais pas, tout tournait mal. Mes idées, mes liens avec les autres. Le problème, c’était plutôt l’excès : trop de livres, trop de lectures. Mes parents s’inquiétaient pour mes yeux, mes heures de sommeil, ma scolarité, c’est marrant cette époque. Je pense que ça ferait rêver des parents aujourd’hui. Bref, je pouvais lire non-stop. Même à table.

Mais la nuit, ils ne pouvaient pas me surveiller. À un moment, ils ont même dévissé les ampoules de ma chambre. J’avais bien sûr une lampe de poche… Ça va beaucoup mieux, je dors la nuit désormais.

Et votre chambre d’adolescente, elle ressemblait à quoi ?

Elle était assez grande, au dernier étage, sous les toits, et donnait sur la forêt. Avec ses poutres, elle me faisait l’effet d’un vaisseau inversé, comme une carène. Un lit dit « bateau » lui aussi, qui appartenait à mes grands-parents. Vous savez, ce sont ces lits aux larges panneaux de bois, transmis de génération en génération. J’avais choisi un papier peint couvert d’ailes de papillon. J’avais aussi un bureau, celui où je me vois écrire, faire mes devoirs. Il avait appartenu à mon grand-père paternel, en merisier je crois, avec ses accessoires hors d’âges, des buvards, des plumiers… Je l’adorais. Je lui prêtais un pouvoir « littéraire ». J’imaginais qu’il entrait en jeu dans la qualité de mes disserts. C’est le premier élément de ma panoplie d’écrivain.

Et puis j’ai très vite salopé la tapisserie : j’y avais recopié, à la plume Rotring et à l’encre de couleur, des vers de Victor Hugo. Je trouvais ça très chic. Je pensais que mes parents seraient ravis. Pas du tout : c’est très mal passé.

Et vous aviez des posters ?

J’avais imprimé une photocopie dans un grand livre trouvé à la bibliothèque : le portrait de Victor Hugo, que j’avais agrandi en A3 et affiché dans ma chambre. J’étais hugomaniaque en collège. Et puis, un peu plus tard, l’affiche du Hussard sur le toit, adapté de Giono, avec Olivier Martinez et Juliette Binoche. Ce film m’avait bouleversée. À 15 ans, j’ai voué un culte à Binoche en robe de la noblesse provençale du XIXe siècle. Je suis allée récupérer les affiches au cinéma d’Épinal. Le caissier me les a toutes données, vaguement étonné vu que c’est un film sur le choléra et qu’en 1995 on était censé afficher les Backstreet Boys.

C’était le premier film que vous avez vu au cinéma ?

Ado, sans doute. Le cinéma est arrivé tard pour moi. Mes parents avaient un rapport particulier aux écrans : je pense que même le cinéma, ils le considéraient plutôt comme un art mineur. Ma vraie culture ciné, je l’ai surtout formée à l’université. Enfant, on nous emmenait exceptionnellement voir des films. Je me souviens de L’Ours de Jean-Jacques Annaud, et d’une rediffusion du Magicien d’Oz. C’est à peu près tout.

Vous avez pleuré devant L’Ours ?

Évidemment. Je n’avais pas vu Bambi ni les Disney, je n’étais pas préparée psychologiquement à toute cette affaire de chasseur et de cervidé orphelin. Plus tard, je l’ai montré à mon fils. Il n’a pas pleuré. J’ai cru un instant qu’il n’avait pas de cœur, mais, en réalité, « les animaux qui parlent », il n’a pas pu accrocher, m’a-t-il expliqué (rires).

Votre premier concert ?

Avec mes parents, j’avais vu des quatuors à cordes, des concerts de philharmonie. Mais mon premier vrai souvenir, c’est au lycée : Louise Attaque. On n’avait pas de billets. Avec une copine, on campait dans le sillage d’un festival où ils passaient, vers 1998. On avait trouvé un spot dans un camping d’où on pouvait les entendre.

Est-ce que comme beaucoup d’ados de cette génération, vous écoutiez Difool sur Skyrock ?

Un peu, mais en cachette, chez ma voisine. C’était le comble du sulfureux. La transgression était telle que je n’osais pas trop : j’avais l’impression que j’allais payer ça trop cher karmiquement (rires), j’ai laissé tomber. Ensuite, j’étais interne au lycée. Là j’ai tout vu, tout pris, j’ai joyeusement déconné. L’ampleur des interdits est proportionnelle aux réactions qu’ils produisent ensuite…

Et le rap, justement ?

À l’époque, je me la jouais un peu snob. Je revendiquais la chanson à texte, la musique classique. Les goûts musicaux recoupaient presque des classes sociales. C’était étanche : ceux qui écoutaient Bach, Simon & Garfunkel, Leonard Cohen comme moi et ceux qui écoutaient du rap. Très vite, ça créait des clans. J’ai découvert le rap plus tard, adulte. C’était bien, une joie. Comme quand tu découvres Despentes après avoir été biberonnée à Flaubert.

Et votre look au lycée ?

Au lycée, ça allait mieux, parce qu’en étant interne je pouvais faire un peu plus ce que je voulais. J’ai eu une période un peu… pouffiasse (rires) que je prenais pour la quintessence du « féminin » : rouge à lèvres jusque sur les dents, jupe courte et Doc Martens. Ma mère n’était pas là le matin pour me demander de me changer. Mais ça n’a pas duré longtemps : j’étais dans un lycée privé catho, qui a été un des premiers à interdire la minijupe. Ensuite, je suis passée direct au look oversize. Des sweats XL de mon frère, une veste de treillis récupérée dans les stocks américains… Là les manches étaient tellement longues qu’on pouvait faire un nœud au bout. Quel bel âge, hein ? On est tout en constance, bon goût et sérénité.

Aujourd’hui, vos pratiques culturelles se répartissent comment entre cinéma, musique, littérature ?

Bonne question. J’ai l’impression qu’elles sont devenues peau de chagrin. Parce que j’ai un enfant, et que j’écris beaucoup moi-même. Il reste la danse contemporaine – même si cette année je n’ai pas encore eu le temps –, la lecture et le cinéma. Le théâtre, j’y suis tellement allée que c’est un peu moins un lieu de surprise pour moi. Et puis il y a les séries. Je pense moins en citer, parce que c’est devenu un rituel quasi domestique.

Vos trois films préférés ?

Mon top trois change avec le temps… mais il y aura toujours sans doute The Tree of Life de Terrence Malick, que je peux regarder ou écouter en boucle. Je sais que tout le monde n’est pas d’accord, surtout à cause du fameux plan de Brontosaure (rires), mais moi, ce film peut tourner en permanence à la maison. Quand j’étais étudiante, Par-delà les nuages d’Antonioni et Wim Wenders m’a fait le même effet. Et Cronenberg, longtemps ne m’a jamais déçue. Et je pourrais ensuite citer 100 noms.

Ce sont des refuges pour vous ?

Les films ? Pas vraiment. Quand ça ne va pas, je me mets une vieille série. Je sais que je peux y rester longtemps. Ça peut être une saison de Mad Men, des premières saisons de Girls, The Big Bang Theory… J’ai aussi regardé L’Amie prodigieuse, adaptée d’Elena Ferrante, que je n’avais pas réussi à lire pourtant. Les séries, c’est le plus vicieux des doudous : on binge deux jours en mangeant du sucre, hors du temps, et le retour au réel fait l’effet d’une rentrée des classes.

Vos séries préférées justement ?

La première série qui m’a marquée sur le plan esthétique, c’est Mad Men. Je l’ai vue la même année que Breaking Bad, séries qui vous font comprendre que les séries, c’est aussi un art de seigneurs, au même titre que le cinéma. Mad Men, chaque plan est un tableau. Ça a déplacé mon rapport à la télé.

Il vous arrive de regarder des séries plus légères ?

J’ai découvert Game of Thrones après tout le monde. Au départ, j’avais aperçu trois dragons et un loup en 4D, alors c’était mort. Mais je m’y suis mise parce que c’était devenu un phénomène planétaire : je voulais comprendre de quoi il s’agissait, c’était sociologiquement intéressant. Et je n’ai jamais plus décroché des dragons.

Et en parlant de transmission, est-ce qu’il y a des œuvres de votre enfance que vous avez réussi à partager avec votre fils ?

Oui. Il a 9 ans, et j’ai réussi avec Le Petit Nicolas et Achille Talon. Le Petit Nicolas, il préfère l’entendre plutôt que le lire seul : je crois qu’il aime m’entendre rire, ce partage-là. Pour Achille Talon, monument d’humour vintage, de calembours et de phrases alambiquées, j’étais très fière de mon coup : … ça a vraiment enrichi son vocabulaire.

Vous lui imposez des restrictions ?

Oui. Aucun écran. Parfois un film ou un dessin animé, mais qu’on choisit ensemble. Au fond, je reproduis exactement ce que faisaient mes parents avec moi (rires).

Et vous jouez à quoi ensemble ?

En ce moment, à Prince de Motordu. Vous voyez ? Ces livres qu’on lisait à l’école primaire. Il existe un jeu de cartes : débuts et fins de mots, des syllabes interchangeables… On doit composer le plus vite possible le plus de mots, parfois en volant des cartes aux autres. Une merveille.

Et quand il est question de musique, qu’est-ce qui vous console quand ça ne va pas ?

Quand ça ne va pas, j’aime beaucoup toucher le fond avec Leonard Cohen, Barbara, Radiohead. J’ai eu de grosses périodes Radiohead, Beirut… toutes les voix qu’on écoutait à la fac en fait.

Vous écrivez en musique ?

Oui, j’ai une bande-son par personnage et par roman. C’est très varié. Si j’écris un ado, je mets du rap, quelque chose d’un peu vénère. Si je situe une histoire dans les années 2000 ou 2010, je mets ce qu’on entendait à la radio à l’époque. Pour Fabien, dans Champion, j’ai écouté Pierre Bachelet (« En l’an 2001 »). Pour Michelle, quand elle revient sur son adolescence, R.E.M., du Goldman aussi… ça me ramenait à l’état dans lequel j’étais et je pouvais restituer des émotions plus réalistes. Pour Feu, par exemple, j’ai écouté PNL, Fauve, Damien Saez et le « Stabat Mater » de Pergolèse. Selon les personnages.

Et plus récemment, y a-t-il un auteur ou une autrice dont vous ne parvenez pas à vous lasser ?

Giono. Je cite souvent Un roi sans divertissement. Si je devais en emporter un seul, ce serait celui-là. Les Âmes fortes aussi. Et Un roi sans divertissement, qu’on croit scolaire mais qu’on redécouvre adulte, est immense.

Quel est le livre que vous associez à l’idée de rupture amoureuse ?

Madame Bovary. C’est Emma qui m’a donné une idée de ce que l’abandon peut faire : la douleur ordinaire, crasse, solitaire. C’est étonnant, d’ailleurs, que ce soit un homme qui ait écrit ça.

Dans votre dernier roman, votre héroïne Michelle invente parfois des souvenirs pour modifier le réel. Une œuvre vous a-t-elle déjà fait douter de la frontière entre mémoire et fiction ?

Moi, non. Je n’ai jamais eu ce sentiment-là. En revanche, des livres m’ont appris qu’il est parfois nécessaire, pour notre santé mentale, de franchir ce pas. Romain Gary, par exemple. Le réel est insoutenable, il faut le muer en fiction, transformer les données. Mais c’est une décision, pas une dérive ni une maladie : c’est choisir un prisme. Le réel attend de nous une chose : qu’on se l’invente, parce que lui-même ne se supporte pas.

Et la culture, ça vous protège de l’actualité anxiogène ?

L’écriture, surtout. Parce que la culture, c’est ce que je produis aussi : je fais des livres, des scénarios… donc des objets culturels. Mais l’écriture reste une autre temporalité, un autre corps. Quand j’écris, je dépose à peu près tout ce qui pèse.

Vous écrivez où, en général ?

Souvent seule, dans des zones blanches. Pas en résidence – ce serait encore trop civilisationnel. Moi, je loue des bergeries. Pas de réseau : il faut marcher une demi-heure pour capter une barre, au bord d’une départementale. Et j’adore ça. C’est même des cures de jouvence.

Vous n’avez jamais besoin d’Internet ?

Non, pas à ce moment-là. Quand je commence, je n’ai plus de recherche à faire. La documentation, je la garde pour la deuxième version. En version zéro, si quelque chose m’arrête, je l’enjambe et j’écris autre chose. Je n’ai pas un rapport scolaire ou méthodique. J’ai juste un dictionnaire des synonymes, au cas où. Mais pas Wikipédia, pas Internet.

Et ce moment d’écriture, vous le vivez comment ?

C’est le moment où je me sens moi. Le moment où j’ai fini, où j’envoie le texte à mon éditrice, ça, c’est merveilleux. Il y a plusieurs libérations dans l’écriture, et quand j’appuie sur « envoyer », avant même qu’elle l’ait lu, c’est un relâchement physique et nerveux, musculaire. Ça passe par le corps. Ensuite, il y a le moment où elle le lit, où elle me dit ce qu’elle en pense. Et puis encore après, le moment où le livre arrive aux lecteurs. Et le retour de la tension, c’est la rentrée littéraire (rires).

Le plus dur, c’est l’après ?

Oui. Les sorties, l’incertitude. On ne sait jamais si on sera à la hauteur. J’ai eu la chance de gagner des lecteurs, mais est-ce que mes personnages, mes phrases seront toujours à la hauteur de ce qu’ils attendent d’eux ? Ces questions-là, on aimerait ne pas les avoir. On aimerait avoir un ego assez puissant pour ne pas redouter ce besoin d’adhésion.

Vous n’arrêtez jamais d’écrire ?

Non. J’écris tout le temps. Là, par exemple, une série pour Canal, un film, un documentaire. Je vis vraiment de ce que j’écris. Mon problème, c’est l’inverse : j’aimerais bien avoir des moments où je n’écris pas.

Et en vacances ?

Là, j’ai réussi. Parce que j’ai claqué, très efficace : j’ai trop dépensé cet été pour me dire que je payais pour travailler au soleil. Et puis j’étais avec mon fils, avec Le Prince de Motordu, avec mon amoureux aussi. Et surtout, j’étais épuisée. Il y a une grâce de l’épuisement. J’ai dû y répondre. J’ai lâché. Et c’était très bien.

Pour conclure : si vous deviez placer Tressaillir sur une étagère, à côté de quel autre livre le placeriez-vous ?

À côté de mes autres livres. Ils sont tous ensemble, sur la dernière étagère, tout en haut. Mais si je devais choisir un voisin, je le mettrais entre Romain Gary et Jean Giono. Pour des raisons mystiques. Pour qu’ils le protègent.

Tressaillir, de Maria Pourchet (Stock, 324 p., 21,90 €, numérique 16 €).

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Avec Tressaillir, Maria Pourchet signe l’un des grands romans de la rentrée littéraire, un retour flamboyant après Feu et Western. Dans ses Vosges natales, elle raconte l’effondrement d’une femme après une rupture, entre solitude dévorante et fantômes de l’enfance. Sociologue de formation, elle observe ses personnages comme elle scrute nos vies, au plus près des désirs et des contradictions.

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Son imaginaire, lui, s’est forgé sans télévision, dans une chambre sous les toits où elle copiait des vers de Victor Hugo sur la tapisserie – au grand désespoir de ses parents. À 10 ans, elle écrivait déjà des poèmes qu’elle demandait à ses parents d’envoyer à Francis Cabrel (on ignore si l’auteur de « Petite Marie » a jamais reçu ces odes vosgiennes).

Aujourd’hui, Maria Pourchet entrouvre les portes de son panthéon culturel. On y croise Tristan et Iseut, Giono bien sûr, mais aussi Louise Attaque, groupe entendu en douce depuis un camping. Un univers où l’érudition se frotte à la culture populaire, où la solitude se mêle aux chansons de foule. Et où, pour écrire, elle s’isole dans des bergeries sans réseau, marchant une demi-heure au bord d’une départementale pour capter une barre comme si, pour trouver ses mots, il fallait d’abord se couper du monde.

Le Point : De votre enfance, qu’est-ce qui vous a donné le goût de la littérature et de la culture ?

Maria Pourchet : Beaucoup de choses. Mes parents avaient des préférences éducatives très claires. La culture était placée au premier plan et très tôt. Elle passait par différents vecteurs : d’abord les livres, puis le théâtre, la musique classique et la chanson à texte.

Si vous deviez évoquer une expérience marquante ? Un livre, par exemple, qui vous a donné le goût de la lecture ou changé votre regard ?

J’ai lu très tôt, parce qu’on n’avait pas la télé. Le merveilleux a compté énormément : les contes, mais pas seulement ceux de Grimm. Tous les textes anciens : Tristan et Iseut, La Chanson de Roland, Le Roman de Renart. À la même époque, j’ai commencé à entendre la chanson à texte. Je dis bien « entendre » : ce sont mes parents qui écoutaient.

J’ai entendu Brassens, Brel, Reggiani, Balavoine. Ça a été ma première expérience de la langue comme forme. Le mot, le son… plus que le sens. Je ne comprenais pas tout – ni les contes médiévaux ni les chansons à texte. Mais cette langue poétique, des contes comme des chansons, stylisée, symbolique, riche en figures de style, m’a appris qu’elle n’était pas seulement cet outil d’interaction utile à dire bonjour, bonsoir. Elle me réservait autre chose : de la joie, une expérience qui me fascinait d’avance.

Vous commencez déjà à écrire à ce moment-là ?

Oui. J’écris des poèmes, assez petite, dès que je sais rédiger des phrases qui me semblent belles. Donc à la fin de l’école élémentaire. J’essaie tous les mots que je connais, parce que je m’aperçois que j’en connais plus que les autres – encore une fois, l’absence de télé est déterminante. Comme loisir, il n’y avait que ça : écouter les disques des parents et lire.

Et ça ressemblait à quoi ?

Aucune idée. Vers 10, 12 ans, je me souviens d’avoir demandé à mes parents d’envoyer des textes à Francis Cabrel. Je me disais : « Tiens, c’est joli ce que j’ai fait. Lui qui chante de la poésie, peut-être qu’il voudra bien les chanter. » Ils soutiennent encore aujourd’hui qu’ils les ont postés.

Peut-être qu’en fait, « La Corrida » de Francis Cabrel, c’est votre texte d’enfant…

(Rires.) Impossible, je ne mettais pas d’animaux, c’est beaucoup à base d’anges et d’oiseaux – gros motif céleste. J’écrivais aussi des histoires pour les barquettes Lu, idem je demandais à mes parents de les poster. Notez que déjà, j’avais compris qu’écrire n’avait de sens que si c’était diffusé.

À l’école, est-ce que vous étiez frustrée quand vos camarades parlaient de ce qu’ils voyaient à la télé ?

Bien sûr. Ça m’obsédait ce qu’ils voyaient et qui m’échappait. Je ne pensais qu’à ça. Et puis j’ai fini par faire une thèse sur l’histoire de la télévision… J’ai passé quatre ans à l’INA à visionner des archives des années 1960, peut-être mue inconsciemment par cette frustration d’enfance.

Sans la télé, j’avais le sentiment qu’on me privait de mon temps, de mon clan, de ma génération. À la fin des années 1980, tout passait par la télé – ou du moins, on en avait l’impression. Alors j’allais chez les voisins, les grands-parents, les cousins, juste pour entrevoir ce qui m’était interdit. La télévision ressemblait à une fenêtre sur le monde, et on me l’avait claquée au visage.

Vous n’avez jamais eu envie de rejeter la littérature, justement parce qu’elle vous privait d’autres loisirs ?

Ah non, jamais. Au contraire, toutes mes colères, mes frustrations, mon ennui étaient absorbés par la lecture. Quand je ne lisais pas, tout tournait mal. Mes idées, mes liens avec les autres. Le problème, c’était plutôt l’excès : trop de livres, trop de lectures. Mes parents s’inquiétaient pour mes yeux, mes heures de sommeil, ma scolarité, c’est marrant cette époque. Je pense que ça ferait rêver des parents aujourd’hui. Bref, je pouvais lire non-stop. Même à table.

Mais la nuit, ils ne pouvaient pas me surveiller. À un moment, ils ont même dévissé les ampoules de ma chambre. J’avais bien sûr une lampe de poche… Ça va beaucoup mieux, je dors la nuit désormais.

Et votre chambre d’adolescente, elle ressemblait à quoi ?

Elle était assez grande, au dernier étage, sous les toits, et donnait sur la forêt. Avec ses poutres, elle me faisait l’effet d’un vaisseau inversé, comme une carène. Un lit dit « bateau » lui aussi, qui appartenait à mes grands-parents. Vous savez, ce sont ces lits aux larges panneaux de bois, transmis de génération en génération. J’avais choisi un papier peint couvert d’ailes de papillon. J’avais aussi un bureau, celui où je me vois écrire, faire mes devoirs. Il avait appartenu à mon grand-père paternel, en merisier je crois, avec ses accessoires hors d’âges, des buvards, des plumiers… Je l’adorais. Je lui prêtais un pouvoir « littéraire ». J’imaginais qu’il entrait en jeu dans la qualité de mes disserts. C’est le premier élément de ma panoplie d’écrivain.

Et puis j’ai très vite salopé la tapisserie : j’y avais recopié, à la plume Rotring et à l’encre de couleur, des vers de Victor Hugo. Je trouvais ça très chic. Je pensais que mes parents seraient ravis. Pas du tout : c’est très mal passé.

Et vous aviez des posters ?

J’avais imprimé une photocopie dans un grand livre trouvé à la bibliothèque : le portrait de Victor Hugo, que j’avais agrandi en A3 et affiché dans ma chambre. J’étais hugomaniaque en collège. Et puis, un peu plus tard, l’affiche du Hussard sur le toit, adapté de Giono, avec Olivier Martinez et Juliette Binoche. Ce film m’avait bouleversée. À 15 ans, j’ai voué un culte à Binoche en robe de la noblesse provençale du XIXe siècle. Je suis allée récupérer les affiches au cinéma d’Épinal. Le caissier me les a toutes données, vaguement étonné vu que c’est un film sur le choléra et qu’en 1995 on était censé afficher les Backstreet Boys.

C’était le premier film que vous avez vu au cinéma ?

Ado, sans doute. Le cinéma est arrivé tard pour moi. Mes parents avaient un rapport particulier aux écrans : je pense que même le cinéma, ils le considéraient plutôt comme un art mineur. Ma vraie culture ciné, je l’ai surtout formée à l’université. Enfant, on nous emmenait exceptionnellement voir des films. Je me souviens de L’Ours de Jean-Jacques Annaud, et d’une rediffusion du Magicien d’Oz. C’est à peu près tout.

Vous avez pleuré devant L’Ours ?

Évidemment. Je n’avais pas vu Bambi ni les Disney, je n’étais pas préparée psychologiquement à toute cette affaire de chasseur et de cervidé orphelin. Plus tard, je l’ai montré à mon fils. Il n’a pas pleuré. J’ai cru un instant qu’il n’avait pas de cœur, mais, en réalité, « les animaux qui parlent », il n’a pas pu accrocher, m’a-t-il expliqué (rires).

Votre premier concert ?

Avec mes parents, j’avais vu des quatuors à cordes, des concerts de philharmonie. Mais mon premier vrai souvenir, c’est au lycée : Louise Attaque. On n’avait pas de billets. Avec une copine, on campait dans le sillage d’un festival où ils passaient, vers 1998. On avait trouvé un spot dans un camping d’où on pouvait les entendre.

Est-ce que comme beaucoup d’ados de cette génération, vous écoutiez Difool sur Skyrock ?

Un peu, mais en cachette, chez ma voisine. C’était le comble du sulfureux. La transgression était telle que je n’osais pas trop : j’avais l’impression que j’allais payer ça trop cher karmiquement (rires), j’ai laissé tomber. Ensuite, j’étais interne au lycée. Là j’ai tout vu, tout pris, j’ai joyeusement déconné. L’ampleur des interdits est proportionnelle aux réactions qu’ils produisent ensuite…

Et le rap, justement ?

À l’époque, je me la jouais un peu snob. Je revendiquais la chanson à texte, la musique classique. Les goûts musicaux recoupaient presque des classes sociales. C’était étanche : ceux qui écoutaient Bach, Simon & Garfunkel, Leonard Cohen comme moi et ceux qui écoutaient du rap. Très vite, ça créait des clans. J’ai découvert le rap plus tard, adulte. C’était bien, une joie. Comme quand tu découvres Despentes après avoir été biberonnée à Flaubert.

Et votre look au lycée ?

Au lycée, ça allait mieux, parce qu’en étant interne je pouvais faire un peu plus ce que je voulais. J’ai eu une période un peu… pouffiasse (rires) que je prenais pour la quintessence du « féminin » : rouge à lèvres jusque sur les dents, jupe courte et Doc Martens. Ma mère n’était pas là le matin pour me demander de me changer. Mais ça n’a pas duré longtemps : j’étais dans un lycée privé catho, qui a été un des premiers à interdire la minijupe. Ensuite, je suis passée direct au look oversize. Des sweats XL de mon frère, une veste de treillis récupérée dans les stocks américains… Là les manches étaient tellement longues qu’on pouvait faire un nœud au bout. Quel bel âge, hein ? On est tout en constance, bon goût et sérénité.

Aujourd’hui, vos pratiques culturelles se répartissent comment entre cinéma, musique, littérature ?

Bonne question. J’ai l’impression qu’elles sont devenues peau de chagrin. Parce que j’ai un enfant, et que j’écris beaucoup moi-même. Il reste la danse contemporaine – même si cette année je n’ai pas encore eu le temps –, la lecture et le cinéma. Le théâtre, j’y suis tellement allée que c’est un peu moins un lieu de surprise pour moi. Et puis il y a les séries. Je pense moins en citer, parce que c’est devenu un rituel quasi domestique.

Vos trois films préférés ?

Mon top trois change avec le temps… mais il y aura toujours sans doute The Tree of Life de Terrence Malick, que je peux regarder ou écouter en boucle. Je sais que tout le monde n’est pas d’accord, surtout à cause du fameux plan de Brontosaure (rires), mais moi, ce film peut tourner en permanence à la maison. Quand j’étais étudiante, Par-delà les nuages d’Antonioni et Wim Wenders m’a fait le même effet. Et Cronenberg, longtemps ne m’a jamais déçue. Et je pourrais ensuite citer 100 noms.

Ce sont des refuges pour vous ?

Les films ? Pas vraiment. Quand ça ne va pas, je me mets une vieille série. Je sais que je peux y rester longtemps. Ça peut être une saison de Mad Men, des premières saisons de Girls, The Big Bang Theory… J’ai aussi regardé L’Amie prodigieuse, adaptée d’Elena Ferrante, que je n’avais pas réussi à lire pourtant. Les séries, c’est le plus vicieux des doudous : on binge deux jours en mangeant du sucre, hors du temps, et le retour au réel fait l’effet d’une rentrée des classes.

Vos séries préférées justement ?

La première série qui m’a marquée sur le plan esthétique, c’est Mad Men. Je l’ai vue la même année que Breaking Bad, séries qui vous font comprendre que les séries, c’est aussi un art de seigneurs, au même titre que le cinéma. Mad Men, chaque plan est un tableau. Ça a déplacé mon rapport à la télé.

Il vous arrive de regarder des séries plus légères ?

J’ai découvert Game of Thrones après tout le monde. Au départ, j’avais aperçu trois dragons et un loup en 4D, alors c’était mort. Mais je m’y suis mise parce que c’était devenu un phénomène planétaire : je voulais comprendre de quoi il s’agissait, c’était sociologiquement intéressant. Et je n’ai jamais plus décroché des dragons.

Et en parlant de transmission, est-ce qu’il y a des œuvres de votre enfance que vous avez réussi à partager avec votre fils ?

Oui. Il a 9 ans, et j’ai réussi avec Le Petit Nicolas et Achille Talon. Le Petit Nicolas, il préfère l’entendre plutôt que le lire seul : je crois qu’il aime m’entendre rire, ce partage-là. Pour Achille Talon, monument d’humour vintage, de calembours et de phrases alambiquées, j’étais très fière de mon coup : … ça a vraiment enrichi son vocabulaire.

Vous lui imposez des restrictions ?

Oui. Aucun écran. Parfois un film ou un dessin animé, mais qu’on choisit ensemble. Au fond, je reproduis exactement ce que faisaient mes parents avec moi (rires).

Et vous jouez à quoi ensemble ?

En ce moment, à Prince de Motordu. Vous voyez ? Ces livres qu’on lisait à l’école primaire. Il existe un jeu de cartes : débuts et fins de mots, des syllabes interchangeables… On doit composer le plus vite possible le plus de mots, parfois en volant des cartes aux autres. Une merveille.

Et quand il est question de musique, qu’est-ce qui vous console quand ça ne va pas ?

Quand ça ne va pas, j’aime beaucoup toucher le fond avec Leonard Cohen, Barbara, Radiohead. J’ai eu de grosses périodes Radiohead, Beirut… toutes les voix qu’on écoutait à la fac en fait.

Vous écrivez en musique ?

Oui, j’ai une bande-son par personnage et par roman. C’est très varié. Si j’écris un ado, je mets du rap, quelque chose d’un peu vénère. Si je situe une histoire dans les années 2000 ou 2010, je mets ce qu’on entendait à la radio à l’époque. Pour Fabien, dans Champion, j’ai écouté Pierre Bachelet (« En l’an 2001 »). Pour Michelle, quand elle revient sur son adolescence, R.E.M., du Goldman aussi… ça me ramenait à l’état dans lequel j’étais et je pouvais restituer des émotions plus réalistes. Pour Feu, par exemple, j’ai écouté PNL, Fauve, Damien Saez et le « Stabat Mater » de Pergolèse. Selon les personnages.

Et plus récemment, y a-t-il un auteur ou une autrice dont vous ne parvenez pas à vous lasser ?

Giono. Je cite souvent Un roi sans divertissement. Si je devais en emporter un seul, ce serait celui-là. Les Âmes fortes aussi. Et Un roi sans divertissement, qu’on croit scolaire mais qu’on redécouvre adulte, est immense.

Quel est le livre que vous associez à l’idée de rupture amoureuse ?

Madame Bovary. C’est Emma qui m’a donné une idée de ce que l’abandon peut faire : la douleur ordinaire, crasse, solitaire. C’est étonnant, d’ailleurs, que ce soit un homme qui ait écrit ça.

Dans votre dernier roman, votre héroïne Michelle invente parfois des souvenirs pour modifier le réel. Une œuvre vous a-t-elle déjà fait douter de la frontière entre mémoire et fiction ?

Moi, non. Je n’ai jamais eu ce sentiment-là. En revanche, des livres m’ont appris qu’il est parfois nécessaire, pour notre santé mentale, de franchir ce pas. Romain Gary, par exemple. Le réel est insoutenable, il faut le muer en fiction, transformer les données. Mais c’est une décision, pas une dérive ni une maladie : c’est choisir un prisme. Le réel attend de nous une chose : qu’on se l’invente, parce que lui-même ne se supporte pas.

Et la culture, ça vous protège de l’actualité anxiogène ?

L’écriture, surtout. Parce que la culture, c’est ce que je produis aussi : je fais des livres, des scénarios… donc des objets culturels. Mais l’écriture reste une autre temporalité, un autre corps. Quand j’écris, je dépose à peu près tout ce qui pèse.

Vous écrivez où, en général ?

Souvent seule, dans des zones blanches. Pas en résidence – ce serait encore trop civilisationnel. Moi, je loue des bergeries. Pas de réseau : il faut marcher une demi-heure pour capter une barre, au bord d’une départementale. Et j’adore ça. C’est même des cures de jouvence.

Vous n’avez jamais besoin d’Internet ?

Non, pas à ce moment-là. Quand je commence, je n’ai plus de recherche à faire. La documentation, je la garde pour la deuxième version. En version zéro, si quelque chose m’arrête, je l’enjambe et j’écris autre chose. Je n’ai pas un rapport scolaire ou méthodique. J’ai juste un dictionnaire des synonymes, au cas où. Mais pas Wikipédia, pas Internet.

Et ce moment d’écriture, vous le vivez comment ?

C’est le moment où je me sens moi. Le moment où j’ai fini, où j’envoie le texte à mon éditrice, ça, c’est merveilleux. Il y a plusieurs libérations dans l’écriture, et quand j’appuie sur « envoyer », avant même qu’elle l’ait lu, c’est un relâchement physique et nerveux, musculaire. Ça passe par le corps. Ensuite, il y a le moment où elle le lit, où elle me dit ce qu’elle en pense. Et puis encore après, le moment où le livre arrive aux lecteurs. Et le retour de la tension, c’est la rentrée littéraire (rires).

Le plus dur, c’est l’après ?

Oui. Les sorties, l’incertitude. On ne sait jamais si on sera à la hauteur. J’ai eu la chance de gagner des lecteurs, mais est-ce que mes personnages, mes phrases seront toujours à la hauteur de ce qu’ils attendent d’eux ? Ces questions-là, on aimerait ne pas les avoir. On aimerait avoir un ego assez puissant pour ne pas redouter ce besoin d’adhésion.

Vous n’arrêtez jamais d’écrire ?

Non. J’écris tout le temps. Là, par exemple, une série pour Canal, un film, un documentaire. Je vis vraiment de ce que j’écris. Mon problème, c’est l’inverse : j’aimerais bien avoir des moments où je n’écris pas.

Et en vacances ?

Là, j’ai réussi. Parce que j’ai claqué, très efficace : j’ai trop dépensé cet été pour me dire que je payais pour travailler au soleil. Et puis j’étais avec mon fils, avec Le Prince de Motordu, avec mon amoureux aussi. Et surtout, j’étais épuisée. Il y a une grâce de l’épuisement. J’ai dû y répondre. J’ai lâché. Et c’était très bien.

Pour conclure : si vous deviez placer Tressaillir sur une étagère, à côté de quel autre livre le placeriez-vous ?

À côté de mes autres livres. Ils sont tous ensemble, sur la dernière étagère, tout en haut. Mais si je devais choisir un voisin, je le mettrais entre Romain Gary et Jean Giono. Pour des raisons mystiques. Pour qu’ils le protègent.

Tressaillir, de Maria Pourchet (Stock, 324 p., 21,90 €, numérique 16 €).

Avec Tressaillir, Maria Pourchet signe l’un des grands romans de la rentrée littéraire, un retour flamboyant après Feu et Western. Dans ses Vosges natales, elle raconte l’effondrement d’une femme après une rupture, entre solitude dévorante et fantômes de l’enfance. Sociologue de formation, elle observe ses personnages comme elle scrute nos vies, au plus près des désirs et des contradictions.

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Son imaginaire, lui, s’est forgé sans télévision, dans une chambre sous les toits où elle copiait des vers de Victor Hugo sur la tapisserie – au grand désespoir de ses parents. À 10 ans, elle écrivait déjà des poèmes qu’elle demandait à ses parents d’envoyer à Francis Cabrel (on ignore si l’auteur de « Petite Marie » a jamais reçu ces odes vosgiennes).

Aujourd’hui, Maria Pourchet entrouvre les portes de son panthéon culturel. On y croise Tristan et Iseut, Giono bien sûr, mais aussi Louise Attaque, groupe entendu en douce depuis un camping. Un univers où l’érudition se frotte à la culture populaire, où la solitude se mêle aux chansons de foule. Et où, pour écrire, elle s’isole dans des bergeries sans réseau, marchant une demi-heure au bord d’une départementale pour capter une barre comme si, pour trouver ses mots, il fallait d’abord se couper du monde.

Le Point : De votre enfance, qu’est-ce qui vous a donné le goût de la littérature et de la culture ?

Maria Pourchet : Beaucoup de choses. Mes parents avaient des préférences éducatives très claires. La culture était placée au premier plan et très tôt. Elle passait par différents vecteurs : d’abord les livres, puis le théâtre, la musique classique et la chanson à texte.

Si vous deviez évoquer une expérience marquante ? Un livre, par exemple, qui vous a donné le goût de la lecture ou changé votre regard ?

J’ai lu très tôt, parce qu’on n’avait pas la télé. Le merveilleux a compté énormément : les contes, mais pas seulement ceux de Grimm. Tous les textes anciens : Tristan et Iseut, La Chanson de Roland, Le Roman de Renart. À la même époque, j’ai commencé à entendre la chanson à texte. Je dis bien « entendre » : ce sont mes parents qui écoutaient.

J’ai entendu Brassens, Brel, Reggiani, Balavoine. Ça a été ma première expérience de la langue comme forme. Le mot, le son… plus que le sens. Je ne comprenais pas tout – ni les contes médiévaux ni les chansons à texte. Mais cette langue poétique, des contes comme des chansons, stylisée, symbolique, riche en figures de style, m’a appris qu’elle n’était pas seulement cet outil d’interaction utile à dire bonjour, bonsoir. Elle me réservait autre chose : de la joie, une expérience qui me fascinait d’avance.

Vous commencez déjà à écrire à ce moment-là ?

Oui. J’écris des poèmes, assez petite, dès que je sais rédiger des phrases qui me semblent belles. Donc à la fin de l’école élémentaire. J’essaie tous les mots que je connais, parce que je m’aperçois que j’en connais plus que les autres – encore une fois, l’absence de télé est déterminante. Comme loisir, il n’y avait que ça : écouter les disques des parents et lire.

Et ça ressemblait à quoi ?

Aucune idée. Vers 10, 12 ans, je me souviens d’avoir demandé à mes parents d’envoyer des textes à Francis Cabrel. Je me disais : « Tiens, c’est joli ce que j’ai fait. Lui qui chante de la poésie, peut-être qu’il voudra bien les chanter. » Ils soutiennent encore aujourd’hui qu’ils les ont postés.

Peut-être qu’en fait, « La Corrida » de Francis Cabrel, c’est votre texte d’enfant…

(Rires.) Impossible, je ne mettais pas d’animaux, c’est beaucoup à base d’anges et d’oiseaux – gros motif céleste. J’écrivais aussi des histoires pour les barquettes Lu, idem je demandais à mes parents de les poster. Notez que déjà, j’avais compris qu’écrire n’avait de sens que si c’était diffusé.

À l’école, est-ce que vous étiez frustrée quand vos camarades parlaient de ce qu’ils voyaient à la télé ?

Bien sûr. Ça m’obsédait ce qu’ils voyaient et qui m’échappait. Je ne pensais qu’à ça. Et puis j’ai fini par faire une thèse sur l’histoire de la télévision… J’ai passé quatre ans à l’INA à visionner des archives des années 1960, peut-être mue inconsciemment par cette frustration d’enfance.

Sans la télé, j’avais le sentiment qu’on me privait de mon temps, de mon clan, de ma génération. À la fin des années 1980, tout passait par la télé – ou du moins, on en avait l’impression. Alors j’allais chez les voisins, les grands-parents, les cousins, juste pour entrevoir ce qui m’était interdit. La télévision ressemblait à une fenêtre sur le monde, et on me l’avait claquée au visage.

Vous n’avez jamais eu envie de rejeter la littérature, justement parce qu’elle vous privait d’autres loisirs ?

Ah non, jamais. Au contraire, toutes mes colères, mes frustrations, mon ennui étaient absorbés par la lecture. Quand je ne lisais pas, tout tournait mal. Mes idées, mes liens avec les autres. Le problème, c’était plutôt l’excès : trop de livres, trop de lectures. Mes parents s’inquiétaient pour mes yeux, mes heures de sommeil, ma scolarité, c’est marrant cette époque. Je pense que ça ferait rêver des parents aujourd’hui. Bref, je pouvais lire non-stop. Même à table.

Mais la nuit, ils ne pouvaient pas me surveiller. À un moment, ils ont même dévissé les ampoules de ma chambre. J’avais bien sûr une lampe de poche… Ça va beaucoup mieux, je dors la nuit désormais.

Et votre chambre d’adolescente, elle ressemblait à quoi ?

Elle était assez grande, au dernier étage, sous les toits, et donnait sur la forêt. Avec ses poutres, elle me faisait l’effet d’un vaisseau inversé, comme une carène. Un lit dit « bateau » lui aussi, qui appartenait à mes grands-parents. Vous savez, ce sont ces lits aux larges panneaux de bois, transmis de génération en génération. J’avais choisi un papier peint couvert d’ailes de papillon. J’avais aussi un bureau, celui où je me vois écrire, faire mes devoirs. Il avait appartenu à mon grand-père paternel, en merisier je crois, avec ses accessoires hors d’âges, des buvards, des plumiers… Je l’adorais. Je lui prêtais un pouvoir « littéraire ». J’imaginais qu’il entrait en jeu dans la qualité de mes disserts. C’est le premier élément de ma panoplie d’écrivain.

Et puis j’ai très vite salopé la tapisserie : j’y avais recopié, à la plume Rotring et à l’encre de couleur, des vers de Victor Hugo. Je trouvais ça très chic. Je pensais que mes parents seraient ravis. Pas du tout : c’est très mal passé.

Et vous aviez des posters ?

J’avais imprimé une photocopie dans un grand livre trouvé à la bibliothèque : le portrait de Victor Hugo, que j’avais agrandi en A3 et affiché dans ma chambre. J’étais hugomaniaque en collège. Et puis, un peu plus tard, l’affiche du Hussard sur le toit, adapté de Giono, avec Olivier Martinez et Juliette Binoche. Ce film m’avait bouleversée. À 15 ans, j’ai voué un culte à Binoche en robe de la noblesse provençale du XIXe siècle. Je suis allée récupérer les affiches au cinéma d’Épinal. Le caissier me les a toutes données, vaguement étonné vu que c’est un film sur le choléra et qu’en 1995 on était censé afficher les Backstreet Boys.

C’était le premier film que vous avez vu au cinéma ?

Ado, sans doute. Le cinéma est arrivé tard pour moi. Mes parents avaient un rapport particulier aux écrans : je pense que même le cinéma, ils le considéraient plutôt comme un art mineur. Ma vraie culture ciné, je l’ai surtout formée à l’université. Enfant, on nous emmenait exceptionnellement voir des films. Je me souviens de L’Ours de Jean-Jacques Annaud, et d’une rediffusion du Magicien d’Oz. C’est à peu près tout.

Vous avez pleuré devant L’Ours ?

Évidemment. Je n’avais pas vu Bambi ni les Disney, je n’étais pas préparée psychologiquement à toute cette affaire de chasseur et de cervidé orphelin. Plus tard, je l’ai montré à mon fils. Il n’a pas pleuré. J’ai cru un instant qu’il n’avait pas de cœur, mais, en réalité, « les animaux qui parlent », il n’a pas pu accrocher, m’a-t-il expliqué (rires).

Votre premier concert ?

Avec mes parents, j’avais vu des quatuors à cordes, des concerts de philharmonie. Mais mon premier vrai souvenir, c’est au lycée : Louise Attaque. On n’avait pas de billets. Avec une copine, on campait dans le sillage d’un festival où ils passaient, vers 1998. On avait trouvé un spot dans un camping d’où on pouvait les entendre.

Est-ce que comme beaucoup d’ados de cette génération, vous écoutiez Difool sur Skyrock ?

Un peu, mais en cachette, chez ma voisine. C’était le comble du sulfureux. La transgression était telle que je n’osais pas trop : j’avais l’impression que j’allais payer ça trop cher karmiquement (rires), j’ai laissé tomber. Ensuite, j’étais interne au lycée. Là j’ai tout vu, tout pris, j’ai joyeusement déconné. L’ampleur des interdits est proportionnelle aux réactions qu’ils produisent ensuite…

Et le rap, justement ?

À l’époque, je me la jouais un peu snob. Je revendiquais la chanson à texte, la musique classique. Les goûts musicaux recoupaient presque des classes sociales. C’était étanche : ceux qui écoutaient Bach, Simon & Garfunkel, Leonard Cohen comme moi et ceux qui écoutaient du rap. Très vite, ça créait des clans. J’ai découvert le rap plus tard, adulte. C’était bien, une joie. Comme quand tu découvres Despentes après avoir été biberonnée à Flaubert.

Et votre look au lycée ?

Au lycée, ça allait mieux, parce qu’en étant interne je pouvais faire un peu plus ce que je voulais. J’ai eu une période un peu… pouffiasse (rires) que je prenais pour la quintessence du « féminin » : rouge à lèvres jusque sur les dents, jupe courte et Doc Martens. Ma mère n’était pas là le matin pour me demander de me changer. Mais ça n’a pas duré longtemps : j’étais dans un lycée privé catho, qui a été un des premiers à interdire la minijupe. Ensuite, je suis passée direct au look oversize. Des sweats XL de mon frère, une veste de treillis récupérée dans les stocks américains… Là les manches étaient tellement longues qu’on pouvait faire un nœud au bout. Quel bel âge, hein ? On est tout en constance, bon goût et sérénité.

Aujourd’hui, vos pratiques culturelles se répartissent comment entre cinéma, musique, littérature ?

Bonne question. J’ai l’impression qu’elles sont devenues peau de chagrin. Parce que j’ai un enfant, et que j’écris beaucoup moi-même. Il reste la danse contemporaine – même si cette année je n’ai pas encore eu le temps –, la lecture et le cinéma. Le théâtre, j’y suis tellement allée que c’est un peu moins un lieu de surprise pour moi. Et puis il y a les séries. Je pense moins en citer, parce que c’est devenu un rituel quasi domestique.

Vos trois films préférés ?

Mon top trois change avec le temps… mais il y aura toujours sans doute The Tree of Life de Terrence Malick, que je peux regarder ou écouter en boucle. Je sais que tout le monde n’est pas d’accord, surtout à cause du fameux plan de Brontosaure (rires), mais moi, ce film peut tourner en permanence à la maison. Quand j’étais étudiante, Par-delà les nuages d’Antonioni et Wim Wenders m’a fait le même effet. Et Cronenberg, longtemps ne m’a jamais déçue. Et je pourrais ensuite citer 100 noms.

Ce sont des refuges pour vous ?

Les films ? Pas vraiment. Quand ça ne va pas, je me mets une vieille série. Je sais que je peux y rester longtemps. Ça peut être une saison de Mad Men, des premières saisons de Girls, The Big Bang Theory… J’ai aussi regardé L’Amie prodigieuse, adaptée d’Elena Ferrante, que je n’avais pas réussi à lire pourtant. Les séries, c’est le plus vicieux des doudous : on binge deux jours en mangeant du sucre, hors du temps, et le retour au réel fait l’effet d’une rentrée des classes.

Vos séries préférées justement ?

La première série qui m’a marquée sur le plan esthétique, c’est Mad Men. Je l’ai vue la même année que Breaking Bad, séries qui vous font comprendre que les séries, c’est aussi un art de seigneurs, au même titre que le cinéma. Mad Men, chaque plan est un tableau. Ça a déplacé mon rapport à la télé.

Il vous arrive de regarder des séries plus légères ?

J’ai découvert Game of Thrones après tout le monde. Au départ, j’avais aperçu trois dragons et un loup en 4D, alors c’était mort. Mais je m’y suis mise parce que c’était devenu un phénomène planétaire : je voulais comprendre de quoi il s’agissait, c’était sociologiquement intéressant. Et je n’ai jamais plus décroché des dragons.

Et en parlant de transmission, est-ce qu’il y a des œuvres de votre enfance que vous avez réussi à partager avec votre fils ?

Oui. Il a 9 ans, et j’ai réussi avec Le Petit Nicolas et Achille Talon. Le Petit Nicolas, il préfère l’entendre plutôt que le lire seul : je crois qu’il aime m’entendre rire, ce partage-là. Pour Achille Talon, monument d’humour vintage, de calembours et de phrases alambiquées, j’étais très fière de mon coup : … ça a vraiment enrichi son vocabulaire.

Vous lui imposez des restrictions ?

Oui. Aucun écran. Parfois un film ou un dessin animé, mais qu’on choisit ensemble. Au fond, je reproduis exactement ce que faisaient mes parents avec moi (rires).

Et vous jouez à quoi ensemble ?

En ce moment, à Prince de Motordu. Vous voyez ? Ces livres qu’on lisait à l’école primaire. Il existe un jeu de cartes : débuts et fins de mots, des syllabes interchangeables… On doit composer le plus vite possible le plus de mots, parfois en volant des cartes aux autres. Une merveille.

Et quand il est question de musique, qu’est-ce qui vous console quand ça ne va pas ?

Quand ça ne va pas, j’aime beaucoup toucher le fond avec Leonard Cohen, Barbara, Radiohead. J’ai eu de grosses périodes Radiohead, Beirut… toutes les voix qu’on écoutait à la fac en fait.

Vous écrivez en musique ?

Oui, j’ai une bande-son par personnage et par roman. C’est très varié. Si j’écris un ado, je mets du rap, quelque chose d’un peu vénère. Si je situe une histoire dans les années 2000 ou 2010, je mets ce qu’on entendait à la radio à l’époque. Pour Fabien, dans Champion, j’ai écouté Pierre Bachelet (« En l’an 2001 »). Pour Michelle, quand elle revient sur son adolescence, R.E.M., du Goldman aussi… ça me ramenait à l’état dans lequel j’étais et je pouvais restituer des émotions plus réalistes. Pour Feu, par exemple, j’ai écouté PNL, Fauve, Damien Saez et le « Stabat Mater » de Pergolèse. Selon les personnages.

Et plus récemment, y a-t-il un auteur ou une autrice dont vous ne parvenez pas à vous lasser ?

Giono. Je cite souvent Un roi sans divertissement. Si je devais en emporter un seul, ce serait celui-là. Les Âmes fortes aussi. Et Un roi sans divertissement, qu’on croit scolaire mais qu’on redécouvre adulte, est immense.

Quel est le livre que vous associez à l’idée de rupture amoureuse ?

Madame Bovary. C’est Emma qui m’a donné une idée de ce que l’abandon peut faire : la douleur ordinaire, crasse, solitaire. C’est étonnant, d’ailleurs, que ce soit un homme qui ait écrit ça.

Dans votre dernier roman, votre héroïne Michelle invente parfois des souvenirs pour modifier le réel. Une œuvre vous a-t-elle déjà fait douter de la frontière entre mémoire et fiction ?

Moi, non. Je n’ai jamais eu ce sentiment-là. En revanche, des livres m’ont appris qu’il est parfois nécessaire, pour notre santé mentale, de franchir ce pas. Romain Gary, par exemple. Le réel est insoutenable, il faut le muer en fiction, transformer les données. Mais c’est une décision, pas une dérive ni une maladie : c’est choisir un prisme. Le réel attend de nous une chose : qu’on se l’invente, parce que lui-même ne se supporte pas.

Et la culture, ça vous protège de l’actualité anxiogène ?

L’écriture, surtout. Parce que la culture, c’est ce que je produis aussi : je fais des livres, des scénarios… donc des objets culturels. Mais l’écriture reste une autre temporalité, un autre corps. Quand j’écris, je dépose à peu près tout ce qui pèse.

Vous écrivez où, en général ?

Souvent seule, dans des zones blanches. Pas en résidence – ce serait encore trop civilisationnel. Moi, je loue des bergeries. Pas de réseau : il faut marcher une demi-heure pour capter une barre, au bord d’une départementale. Et j’adore ça. C’est même des cures de jouvence.

Vous n’avez jamais besoin d’Internet ?

Non, pas à ce moment-là. Quand je commence, je n’ai plus de recherche à faire. La documentation, je la garde pour la deuxième version. En version zéro, si quelque chose m’arrête, je l’enjambe et j’écris autre chose. Je n’ai pas un rapport scolaire ou méthodique. J’ai juste un dictionnaire des synonymes, au cas où. Mais pas Wikipédia, pas Internet.

Et ce moment d’écriture, vous le vivez comment ?

C’est le moment où je me sens moi. Le moment où j’ai fini, où j’envoie le texte à mon éditrice, ça, c’est merveilleux. Il y a plusieurs libérations dans l’écriture, et quand j’appuie sur « envoyer », avant même qu’elle l’ait lu, c’est un relâchement physique et nerveux, musculaire. Ça passe par le corps. Ensuite, il y a le moment où elle le lit, où elle me dit ce qu’elle en pense. Et puis encore après, le moment où le livre arrive aux lecteurs. Et le retour de la tension, c’est la rentrée littéraire (rires).

Le plus dur, c’est l’après ?

Oui. Les sorties, l’incertitude. On ne sait jamais si on sera à la hauteur. J’ai eu la chance de gagner des lecteurs, mais est-ce que mes personnages, mes phrases seront toujours à la hauteur de ce qu’ils attendent d’eux ? Ces questions-là, on aimerait ne pas les avoir. On aimerait avoir un ego assez puissant pour ne pas redouter ce besoin d’adhésion.

Vous n’arrêtez jamais d’écrire ?

Non. J’écris tout le temps. Là, par exemple, une série pour Canal, un film, un documentaire. Je vis vraiment de ce que j’écris. Mon problème, c’est l’inverse : j’aimerais bien avoir des moments où je n’écris pas.

Et en vacances ?

Là, j’ai réussi. Parce que j’ai claqué, très efficace : j’ai trop dépensé cet été pour me dire que je payais pour travailler au soleil. Et puis j’étais avec mon fils, avec Le Prince de Motordu, avec mon amoureux aussi. Et surtout, j’étais épuisée. Il y a une grâce de l’épuisement. J’ai dû y répondre. J’ai lâché. Et c’était très bien.

Pour conclure : si vous deviez placer Tressaillir sur une étagère, à côté de quel autre livre le placeriez-vous ?

À côté de mes autres livres. Ils sont tous ensemble, sur la dernière étagère, tout en haut. Mais si je devais choisir un voisin, je le mettrais entre Romain Gary et Jean Giono. Pour des raisons mystiques. Pour qu’ils le protègent.

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